ut musica pictura… capricciosa e stravagante

Denis Grenier
Ecrit par Denis Grenier

25 ans de Capriccio Stravagante & Skip Sempé… déjà !

Apparu il y a un quart de siècle telle une bouffée de fraicheur dans l’univers de la musique ancienne à la recherche de principes d’interprétation historiquement informés, mais loin de canons déjà en train de se mettre en place, Capriccio Stravagante y insuffle l’invention, le grain de folie sans lequel l’art cristallise dans des normes, rapidement devenues académiques. Portée par l’enthousiasme à l’origine de toute véritable création artistique, la poïétique de Skip Sempé n’obéit qu’à une seule règle, la musique elle-même, et l’expression qui lui donne vie. Spontané, généreux, le geste musical vient à la rencontre de l’œuvre, dans son essence, dans son intimité, dans le retour à l’esprit du compositeur qui, en esquissant ses idées, l’a conçue en confiant à l’interprète la responsabilité de la réinventer, de la faire vivre, et revivre chaque fois sous d’autres traits, en d’autres termes. Servi par une immense culture, une rare érudition, mais aussi par une liberté de ton qui est le propre des grands, le nouvel idiome s’inscrit au coin d’une rare musicalité, de la magie du son et de la couleur, en un discours en perpétuelle effervescence, marqué du sceau de l’esthétique la plus raffinée, et du goût le plus sûr.

Le travail de Skip Sempé ne se termine pas dans la jouissance égoïste de la gloire, du succès que ponctuent les bravos admiratifs de ceux qu’il a voulu rencontrer, et sont venus au rendez-vous, bien au contraire. Le partage se vit d’abord en amont à travers la convivialité avec de jeunes musiciens dont il a reconnu le talent, qu’il se garde de brider en les soumettant à un enseignement centré autour d’un maître omniscient et autoritaire, jaloux de ses privilèges. Son projet pédagogique à lui prend forme dans une passion commune avec ceux que son intuition, et sa capacité de mobiliser lui permettent de recruter, d’associer, avec leur sensibilité à eux, autour du seul axe susceptible de les réunir, la musique, qu’ils réinventent ensemble et qu’ils font sonner dans une

complicité séminale du meilleur. Pas d’instinct de propriété, mais l’accueil inspirant d’un ami s’effaçant pour laisser toute la place à ceux qu’il considère comme ses alter ego, et le bénéfice qui leur revient, et qu’il leur reconnaît.

Élaboré avec affection et fidélité à la musique de ce pays qu’il aime plus que tout, où ce franco-américain a choisi de s’installer, il la fait respirer en en révélant des valeurs qui par la vivacité du propos étonnent parfois les premiers destinataires de cet acte d’amour désintéressé, héritiers d’une tradition qui, au Nord de la Loire, a placé la réserve et le contrôle au centre de tout, y compris au niveau de l’art. Pour autant cet être généreux et sincère ne leur en tient pas rigueur.

Certes son pays d’adoption aura raison de s’enorgueillir, enfin, de compter en son sein un artiste de cette trempe, un génie des lieux toujours prêt à lui donner le meilleur de lui-même, la perle rare lui assurant l’accès au meilleur d’elle-même, et de soutenir l’élan d’une jeunesse à la sève débordante et pleine de vitalité créatrice dont il s’entoure. Mais la découverte ne s’arrête pas aux frontières de ce grand pays, elle les transcende et s’arrime avec aisance et naturel à une Europe plurielle, mosaïque riche de diversité et de métissages, ouvrant sur des continents de sens.

Indispensable Skip Sempé, Capriccio Stravagante… une nécessité… per sempre.

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En coiffant du titre La Belle Danse le cd marquant le 25e anniversaire du Capriccio Stravagante, Skip Sempé rejoint l’esprit de Charles-Louis-Pierre de Beauchamps, premier directeur de l’Académie royale de danse, futur Opéra de Paris, créée en 1669, lequel souhaite que la danse française se décline dans des formes qui répondent aux mêmes critères d’excellence et de beauté que ceux qui gouvernent l’alexandrin classique. Avec ce retour à la musique du Grand Siècle, Skip Sempé fait renaître les 24 violons de Lully avec l’enthousiasme juvénile des débuts de son ensemble. Au  programme Les Plaisirs de l’île enchantée, 1664, et quelques autres compositions du surintendant, de même que celles d’autres compositeurs. L’artiste Israël Sylvestre en a gravé quelques scènes.

La fête des “Plaisirs de l’Isle enchantée” donnée par Louis XIV à Versailles par Israël Silvestre, 1664 © RMN / Gérard Blot

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