Opéra de Paris, nouveaux horizons – Moïse et Aron – De Florence Foster Jenkins à Catherine Frot – Béla Bartók, l’exilé – Le Studio 104

 

Premiers frémissements d’une nouvelle saison. Et tous les regards se tournent vers l’Opéra de Paris où l’on attend des merveilles de la part du nouveau patron qui a successivement fait ses preuves au Châtelet, au Festival d’Aix-en-Provence, à la Scala de Milan. L’Opéra de Paris — Garnier et Bastille, musique et danse — est un gros morceau, où la bienveillance n’est pas toujours de mise. Il le sait et son goût du défi le fait sans doute saliver à l’avance.

Stéphane Lissner a commencé par rendre hommage à son prédécesseur, c’est élégant, en programmant trois de ses productions : la Butterfly mise en scène par Bob Wilson (jusqu’au 13 octobre), la Platée de Laurent Pelly dirigée par Marc Minkowski (jusqu’au 8 octobre) et le Don Juan dérangeant de Michael Haneke (jusqu’au 18 octobre). Il a choisi également de travailler avec Philippe Jordan, le même directeur musical que son prédécesseur, c’est la voix de la raison. Mais avec le premier spectacle, il prend ses distances.

 

Arnold Schoenberg. Mystère, pourquoi, pendant vingt ans, n’a-t-il pas composé la musique du troisième acte dont il avait rédigé le texte ? (Ph. Belmont Music Publisher)

Arnold Schoenberg. Mystère, pourquoi, pendant vingt ans, n’a-t-il pas composé la musique du 3e acte dont il avait rédigé le texte ? (Ph. Belmont Music Publisher)

Le symbole

Pour ce même exercice, Nicolas Joël avait choisi Mireille de Gounod, vestige d’un opéra français hors d’âge dont il avait signé la mise en scène ; c’était en septembre 2009. Le 20 octobre prochain, Bastille présentera Moïse et Aron d’Arnold Schoenberg. Certes, ce n’est pas une nouveauté ; l’œuvre (inachevée) date des années 1930 et ce grand opéra biblique a été déjà représenté sur la scène de Garnier, au début de l’ère Liebermann. Mais Gounod est le symbole du conservatisme et Schoenberg, celui d’une nouvelle musique. Le choix de Stéphane Lissner est une profession de foi.

 

Art lyrique ?

J’ai le souvenir lointain du disque vinyle que je reçus jadis et que je pris pour un canular : « The Glory ( ????) of the Human Voice ». Cette glorieuse voix était celle de l’inénarrable Florence Foster Jenkins, et sa Reine de la nuit, cousine germaine des Marx Brothers, fit bien rire mes amis. Mais le nouveau  film de Xavier Giannoli m’oblige à revoir mon jugement. Florence Foster Jenkins (1868-1944) n’était pas une comédienne excentrique mais une richissime Américaine folle d’opéra qui chantait Mozart, Verdi, Brahms et Strauss (… et Carmen), qui se produisait chaque année, enveloppée dans des voiles de tulle, devant ses amis dans la salle de bal du Ritz et qui se paya le luxe à la fin de sa vie de louer la grande salle de Carnegie Hall pour y donner un récital… Le disque témoigne de ses talents : voix exécrable, dérapages permanents, prononciation aberrante, tonalités explosées, etc. La critique fut impitoyable. Deux jours plus tard, elle sera victime d’une crise cardiaque fatale.

Revue et corrigée par Xavier Giannoli, incarnée par Catherine Frot sous le nom de Marguerite, notre star est confondante de gentillesse, son amour du beau chant n’est pas feint, ni la conscience de ses faiblesses qu’elle tente de compenser grâce à des leçons particulières qu’un chanteur à la retraite accepte de lui donner, avec paiement comptant. Pas arrogante le moins du monde, notre baronne Marguerite Dumont, elle ne s’entend pas et, le jour où elle s’entendra grâce à l’enregistrement réalisé par un médecin, illusions dissipées, l’épreuve lui sera fatale.

 

L’hypocrisie

Catherine Frot frôle le ridicule au début du film, c’est le scénario qui l’exige mais, au fur et à mesure des images, elle est de plus en plus sympathique, bouleversante à la fin.

Variations sur le thème du talent, de l’hypocrisie, du poids de l’argent dans une carrière d’artiste, de la complicité de ceux qui en profitent. Avec Michel Fau, truculent professeur de chant et André Marcon, un mari ni dupe, ni complaisant.

Le film de Xavier Giannoli, avec ses magnifiques décors, a été présenté au Festival de Venise, mais pas récompensé. Comment, en effet, pourrait-on en terre italienne saluer les heurs et malheurs du bel canto ?

 

Quand Catherine Frot, regard conquérant, prend la pause. (DR)

Quand Catherine Frot, regard conquérant, prend la pause. (DR)

Le mur de la honte

Je viens d’entendre un bruit étrange : c’est Béla Bartók qui s’est retourné dans sa tombe. Ce génie musical, ce héros de la liberté, cet athée endurci vient d’apprendre que la Hongrie, son très cher pays natal, a fermé la porte à la misère du monde. Un nouveau mur de la honte. On ne fera pas parler les morts, mais tout l’itinéraire de Bartók, ses écrits, son exil plaident en faveur d’une belle indignation, laquelle, en d’autres circonstances, ne fut pas qu’une attitude, somme toute inoffensive.

Béla Bartók et son épouse, la pianiste Ditta Pastori. On ne transige pas. (DR)

Béla Bartók et son épouse, la pianiste Ditta Pastori. On ne transige pas. (DR)

En effet, en 1939, constatant que la vague nazie s’étendait à travers l’Europe et menaçait son propre pays, Bartók se résolut à l’exil. Il venait de composer une série de chefs-d’œuvre (la Musique pour cordes, percussion et célesta, la Sonate pour deux pianos et percussion), il pouvait enfin assumer son destin de créateur mais, alors qu’il n’était pas personnellement visé, il préféra voguer vers la liberté, quitte à compromettre son œuvre, et ce fut le cas. On sait combien la fin de sa vie outre-Atlantique fut douloureuse, mais il avait sauvé son âme.

Depuis quelque temps, les musiciens sont étrangement silencieux. Le monde serait-il devenu meilleur ?

 

Journées du Patrimoine

Radio France a invité ses chers auditeurs à visiter la maison où, dit le communiqué, de grands artistes se sont produits au « mythique Studio 104 » : Eddy Mitchell, Eric Clapton, Manu Chao, Norah Jones…. Si mythique, ce 104, que j’avais changé sa dénomination, lorsque j’étais en charge de la musique dans la maison ; et le 104 porte le nom d’un des compositeurs français majeurs du XXe siècle : Olivier Messiaen. Quant aux artistes « classiques » qui y ont joué, on pourrait ajouter des dizaines de grands noms, dont celui de Rostropovitch, par exemple…
Ah ! La confusion des valeurs !!

 

Mstislav Rostropovitch, un autre combattant de la liberté, en 1977 (Ph. Le Hors)

Mstislav Rostropovitch, un autre combattant de la liberté, en 1977 (Ph. Le Hors)

 
 
 
couv diapason réduite (2)Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans le magazine Diapason de septembre 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 20 février 1816 : Création du Barbier de Séville »
 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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