Le blog de l’été (5) – Ce jour-là : 27 octobre 1788

 

Ce jour-là, Mozart s’était réveillé dans cette maison (dite « Villa Bertramka ») des faubourgs de Prague où le compositeur Franz Duschek et son épouse, la chanteuse Josepha Hambacher, l’avaient accueilli ; ce jour-là, Mozart, malgré les mille et une obligations auxquelles ses amis pragois le contraignaient quotidiennement, allait se rendre au Théâtre Nostiz (Théâtre des Etats de Bohême) pour suivre les répétitions de son nouvel opéra ; ce jour-là, Mozart savait qu’il devait, de toute urgence, composer l’ouverture de son Don Juan, dont la première était programmée le surlendemain. 27 octobre 1788 : cette nuit-là, Mozart rédigea, sans la moindre rature, l’une des plus fameuses ouvertures du répertoire lyrique.

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En une nuit

Pour Mozart, c’était à peine un défi. N’avait-il pas déjà composé en une nuit de juin 1783 tout un Quatuor ? Pourtant, ses amis étaient inquiets ; mais, comme le mentionne Franz Niemtschek, son premier biographe, « l’inquiétude de ses amis, qui augmentait d’heure en heure, semblait le soutenir et, plus ils paraissaient embarrassés, plus Mozart se sentait l’esprit léger. »

Constance, la fée du foyer (1782). Portrait de Josef Lange (DR)

Constance, la fée du foyer (1782). Portrait de Josef Lange (DR)

Donc, à la fin de la journée, Mozart dit à Constance, sa femme, qui l’avait accompagné à Prague, qu’il allait écrire l’ouverture pendant la nuit ; il la pria de préparer un punch bien corsé et de lui raconter des histoires, et ces histoires, Cendrillon, La Lampe d’Aladin, comme le rapporte Nissen — ce fervent mozartien,  conseiller à la légation de Danemark, qui sera le deuxième mari de Constance — « le firent rire aux larmes. » Mais le punch l’entraînait irrésistiblement dans le sommeil ; il s’assoupissait dès que Constance se taisait. Les heures passaient, le travail n’avançait guère et Constance l’engagea à faire un petit somme sur le divan avec la promesse de le réveiller au bout d’une heure. L’épouse, particulièrement attentionnée, le laissa dormir deux heures. Il était cinq heures du matin quand Constance rappela à Wolfgang-Amadeus que le copiste devait venir à sept heures. Il vint, en effet, et prit livraison de la précieuse partition. »

 

Le plus grand bienfait

Anecdote authentique, qui témoigne d’un don mystérieux qui ferait de Mozart un homme béni des dieux. Anecdote qui révèle surtout un mode opératoire assez particulier. Témoignage de Niemtschek : « Mozart écrivait tout avec une rapidité et une légèreté qui pouvaient, à première  vue, sembler de la facilité ou de la hâte […] Son imagination lui présentait l’œuvre tout entière, nette et vivante, dès qu’elle était commencée. Sa grande connaissance de la composition lui permettait d’en embrasser d’un coup d’œil toute l’harmonie […] L’ouvrage était toujours achevé dans sa tête avant qu’il se mette à écrire. […] La rédaction était donc pour lui un travail facile, pendant lequel il lui arrivait souvent de plaisanter et de s’amuser »…

da-ponte-don-juan-mozart-librettoEt Mozart confirme lui-même que l’essentiel réside dans ce bouillonnement préalable qu’il suffit ensuite de coucher sur le papier : « Quand je suis en forme, et en bon état physique, que je voyage en voiture, que je me promène après un bon repas, ou la nuit si je n’arrive pas à dormir, c’est alors que les idées me viennent à torrents, le plus volontiers. D’où ? Comment ? Je n’en sais rien. Je n’y peux rien. Je garde dans ma tête celles qui me plaisent et je me les fredonne. Si je m’y attache, alors je vois peu à peu comment m’y prendre pour bâtir avec ces fragments un ensemble cohérent, suivant les exigences contrapuntiques, ou les timbres des instruments. L’œuvre est alors achevée dans ma tête, ou vraiment tout comme, même s’il s’agit d’un  long morceau […] Comment se fait-il que je ne l’oublie pas comme un rêve ? C’est peut-être le plus grand bienfait dont je doive remercier le Créateur. »

Mais il n’y a pas de miracle et Mozart dit aussi : « Je n’ai épargné ni peine ni travail afin de faire quelque chose d’excellent pour Prague. Généralement, on se trompe en disant que cet art je l’ai acquis facilement. Je vous assure que personne n’a eu autant de mal que moi à étudier la composition. » Il est vrai que Léopold, son « excellent père », qui était mort l’année précédente, avait veillé au grain.

Giacomo Casanova (1725-1798) Les conseils d’un expert. Peinture d’Anton Raphael Mengs (DR)

Giacomo Casanova (1725-1798) Les conseils d’un expert. Peinture d’Anton Raphael Mengs (DR)

Paresse des interprètes

Le 29 octobre, la création de Don Juan aura donc lieu, après avoir été repoussée à plusieurs reprises : chanteuse malade, « paresse des interprètes qui refusent de répéter les jours de représentation, le directeur, par crainte ou inquiétude qui ne veut pas les contraindre », c’est le compositeur qui parle et ajoute malicieusement : « Mais qu’est-ce que cela ? – Est-ce possible ? – Que voient mes oreilles, qu’entendent mes yeux ? »

Le 29 octobre, les Pragois qui avaient adoré naguère Les Noces de Figaro, à tel point qu’ils avaient commandé à Mozart (pour cent ducats) un nouvel ouvrage, étaient là, dans l’extase ; également présent dans la salle le fameux Casanova qui, en expert, avait gracieusement distribué auparavant quelques conseils, mais pas Lorenzo da Ponte, grand librettiste devant l’Eternel qui, sollicité par le compositeur, avait eu l’idée de ce Don Juan, thème bateau fustigé par Goldoni («  Tout le monde connaît cette mauvaise pièce espagnole, que les Italiens appellent Il Convitato du Pietra, et les Français Le Convive de Pierre… Je l’ai toujours regardée, en Italie, avec horreur, et je ne pouvais pas concevoir comment cette farce avait pu se soutenir pendant si longtemps, attirer le monde en foule, et faire les délices d’un pays policé. ») Et pourtant…

 

Plébiscité à Prague

Donc, afin de monter un opéra de Salieri (!), Da Ponte avait été brusquement rappelé par l’Empereur Joseph II à Vienne, cité de toutes les ambitions mozartiennes, Vienne où le Don Juan plébiscité à Prague sera représenté le 7 mai suivant mais pas vraiment acclamé ; simple mention dans le Wiener Zeitung du 10 mai : … La musique est de M. Wolfgang Mozart, Kapellmeister de la Cour impériale en service réel. » Haydn, lui, avait publiquement exprimé son admiration. Quant à l’Empereur, il déclara : « L’opéra est divin ; et peut-être serait-il plus beau que Figaro, mais ce n’est pas un plat pour les dents de mes Viennois ». Réplique de Mozart : « Laissons-leur le temps de le mâcher. »

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(Diapason – Chronique de juin 2015)

 
 
 
Pour combler votre curiosité
Mozart  par Alfred Einstein (Desclée de Brouwer)
Mozart par Jean et Brigitte Massin (Flammarion)
Mémoires par Lorenzo da Ponte (Mercure de France)
Mozart, Correspondance, tome V (Flammarion)
Don Giovanni (L’Avant-Scène Opéra n° 172)
 
 
 
Le blog du vendredi 21 août
Dvorak, un invité en Amérique
 
 
 
Couv blog (2)Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans le magazine Diapason de l’été 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 8 novembre 1793 : Création de L’Institut national de musique, futur Conservatoire de Paris »
 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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