Philippe Cassard et Schubert – Jean-Bernard Pommier et Beethoven – Jérôme Deschamps et Louis Varney – De Rome à Clichy-Montfermeil

 

« Schubertiades », titre magique qui a permis au pianiste Philippe Cassard et à ses brillants partenaires (la soprano Natalie Dessay, qu’on ne présente plus, le violoniste David Grimal, la violoncelliste Anne Gastinel et Cédric Pescia, pianiste lui aussi) de remplir à ras bord cette Salle Gaveau, qui, après quelques somnolences, revient dans l’actualité et reste le lieu idéal pour écouter un trio de Schubert.

 

Le petit champignon

La vraie schubertiade, celle qui est décrite dans les bons manuels, y compris dans le « Franz Schubert » de Philippe Cassard, édité par Actes Sud en 2008, c’est un « moment d’émulation intellectuelle », où l’on joue de la musique, on récite des poèmes, on parle philosophie, on fait « des petits jeux ». Chez l’un ou chez l’autre, et souvent dans l’une de ces auberges viennoises où l’on déguste le Heuriger des vignobles voisins ou le Tokay hongrois. En compagnie de ses meilleurs amis, le poète Franz von Schober, le baryton Michael Vogl, le juriste Joseph von Spaun et Johann Mayrhofer (fonctionnaire des impôts), Schubert — affectueusement surnommé Schammerl (le petit champignon) en raison de sa petite taille — est l’âme de ces réunions.

 

Sublime Trio

Peu de rapports avec une soirée salle Gaveau, où l’on guetterait en vain le « côté festif et bon enfant, voire potache (qui) côtoie le sérieux d’une réflexion partagée en commun. » Il reste l’essentiel, la musique de Schubert avec la bien connue Sonate Arpeggione (mais depuis longtemps, on ne fabrique plus d’arpeggione et le violoncelle fait l’affaire), une poignée de lieder, un Rondo à quatre mains, enfin le sublime Deuxième Trio Op. 100 dont pendant quelque trois quarts d’heure, on ne peut épuiser le charme mélodique.

Philippe Cassard mène ici le jeu, affirme, développe son chant à tel point que le Trio, j’exagère à peine, devient une pièce pour piano avec accompagnement de violon et de violoncelle. Trop discret l’archet de David Grimal ? Trop pudique dans l’émotion, celui de la merveilleuse Anne Gastinel ? Sinon, conséquence d’un piano au couvercle trop généreusement ouvert…

Et puisque je cite le nom de Philippe Cassard, je saisis l’occasion pour vanter un autre de ses talents dont témoigne sa présence régulière dans les programmes de France Musique : son sens particulier du didactisme bien compris, avec exemples à l’appui. Un modèle dans un domaine délicat où le verbe doit viser juste, traiter l’essentiel et préserver l’auditeur dont le pouvoir d’attention a des limites…

 

On joue, on récite, on disserte, on chante – fini, hélas, le temps des schubertiades !

On joue, on récite, on disserte, on chante – fini, hélas, le temps des schubertiades !

 

Fin d’une intégrale

32 Sonates : Jean-Bernard Pommier s’est attaqué à l’Himalaya

32 Sonates : Jean-Bernard Pommier s’est attaqué à l’Himalaya

La même semaine, dans cette même salle Gaveau, suite et fin de l’intégrale par Jean-Bernard Pommier des Sonates pour piano de Beethoven qui, dès son coup d’envoi, m’a fasciné. Ils ne sont pas nombreux, les pianistes français, d’hier ou d’aujourd’hui, qui s’attaquent avec bonheur à ce monument. Mardi dernier, Pommier a mêlé de nouveau les époques, de la ravissante Sixième Sonate en fa majeur à l’impressionnant opus 110.

Programme magnifique, exigeant. Et je comprends, même si je le déplore, que des deux compositeurs à l’affiche à vingt-quatre heures d’intervalle, musiciens viennois l’un et l’autre, et exactement contemporains, le public ait plébiscité par sa présence le doux et tendre Franz aux dépens d’un Ludwig van furieusement génial (ou génialement furieux). Comme me le dit un jour Arthur Rubinstein, que j’interrogeais bêtement sur ses préférences : entre deux merveilles, je ne choisis pas.

 

Les Mousquetaires au couvent

Retour aux fondamentaux avant fermeture pour travaux, c’est le programme concocté par Jérôme Deschamps avant son départ vers d’autres aventures. Jérôme Deschamps qui, au cours des huit années de son règne salle Favart, a subtilement pratiqué le mélange des genres, a bousculé les routines et pris des risques. Avant passation des pouvoirs remis, désormais, entre les mains très expertes d’Olivier Mantei, son adjoint, il se fait plaisir, et doublement puisqu’il se distribue (rôle du Gouverneur) et met en scène ce vieux monument national qu’est l’opérette de Louis Varney, Les Mousquetaires au couvent.

 

Des nymphettes très délurées

Créés en 1880 aux Bouffes-Parisiens, déjà montés à l’Opéra-Comique en 1992, ces braves Mousquetaires ont toujours connu un succès ravageur, grâce au clin d’œil lancé en direction d’Alexandre Dumas, ce bien-aimé des Français ; grâce à ses bretteurs si sympathiques qui ont le culot de pénétrer dans un couvent de religieuses où les demoiselles-pensionnaires attendent fébrilement qu’on les lutine. Cela se passe notamment au début du deuxième acte, le meilleur moment, musicalement et scéniquement, de la représentation ; ces jolies nymphettes très délurées batifolent devant un Christ en croix, lequel descend hardiment de son échelle… Ce blasphème est-il inscrit dans le livret de Paul Ferrier et Jules Prével (inspiré par  le vaudeville d’Amable de Saint Hilaire et Paul Duport, L’habit ne fait pas le moine) ? Je soupçonne Jérôme Deschamps, là encore, de s’être fait plaisir. Son prédécesseur, feu Jérôme Savary, tirant sur son gros cigare, aurait apprécié…

 

Le couvent en folie. Un blasphème (?) signé Jérôme Deschamps (Photo Pierre Grosbois)

Le couvent en folie. Un blasphème (?) signé Jérôme Deschamps (Photo Pierre Grosbois)

Faisons la part des choses : la musique de Louis Varney (1844-1908), dont il ne reste rien d’autre au répertoire, est, selon la formule consacrée, agréablement troussée, quoique pas exempte de redites et de longueurs. Ni meilleure, ni pire que celle de tous ces ouvrages qui ont fait la gloire de Favart et des Bouffes-Parisiens. Pour ne pas tomber en poussière, elle nécessite des soins particuliers : qualité des voix, vivacité et inventivité du spectacle. Avec ses  outrances et ses naïvetés, l’actuel spectacle de l’Opéra-Comique fonctionne bien. Laurent Campellone dirige avec une ardeur méritoire l’Orchestre de l’Opéra de Toulon (coproducteur du spectacle). Franck Leguérinel est parfait dans ce rôle de composition qu’est l’abbé Bridaine, le chœur des pensionnaires, bénéficiant de l’expérience des Cris de Paris, est joliment réglé.

Si l’on aime Offenbach, pourquoi bouderait-on Louis Varney ?

 

Rêvons un peu

Depuis 1803, couronnement d’un certain Albert Auguste Androt, le Prix de Rome reste l’objectif, sinon l’obsession, de tout jeune compositeur. Ravel s’y est cassé les dents à quatre reprises, et son dernier échec entraîna un spectaculaire changement de directeur ; Olivier Messiaen n’y trébucha que trois fois, puis, raisonnablement, y renonça. Parmi les célébrités, on sait que Berlioz et Debussy n’y furent pas heureux à la Villa Médicis et s’éclipsèrent rapidement. Là aussi, il fallait réformer, ce qui fut fait à la faveur de mai 68.

Donc, la fameuse Cantate de Rome n’existe plus. Néanmoins, des compositeurs (et des peintres, et des graveurs, et des photographes…) passent chaque année quelques mois heureux à la Villa. Il est vrai qu’en termes de villégiature, on fait pire. Mais les politiquement corrects s’étonnent : la douceur romaine est-elle encore une ambition citoyennement légitime ?

 

« …au cœur de mon action… »

D’où la préfiguration, annoncée par notre Ministre de la Culture, d’une nouvelle Villa Médicis à Clichy-Montfermeil : « Ce nouveau lieu, symbole du renouveau artistique et de l’innovation culturelle, dépositaire de l’image d’excellence française reliée à l’aura internationale de la Villa Médicis romaine, sera au cœur de mon action dans les mois à venir […] Aux hauteurs de Rome répondront les tours de Clichy-Montfermeil et en lieu et place de Rome, la Cité qui s’étendra à perte de vue à leurs pieds. »

Les tours de Clichy-Montfermeil, le Club Med devrait y penser…

 

De la Rome éternelle...

De la Rome éternelle…

… aux ruines de notre futur

… aux ruines de notre futur

 
 
 
Couv Diapason blogRetrouvez la chronique de Claude Samuel dans le magazine Diapason de juin 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 27 octobre 1788 : Mozart compose l’ouverture de Don Juan »
 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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