Rameau, l’incompris – Marc Minkowski – Roland Barthes et Gérard Souzay – Jeunes solistes – Isabelle Faust à Manifeste – Les trois Coréennes

 

La vie de Rameau en prime-time, quelques mois après la célébration du deux cent cinquantième anniversaire de sa mort, c’est le cadeau que vient de nous faire Arte. Rameau, qui fut largement incompris en son temps ; Rameau, toujours dans l’ombre de ses deux illustres contemporains, Bach et Haendel ; Rameau dont Debussy, auteur d’un Hommage à Rameau (deuxième pièce de la série des Images) souligna, ayant assisté à l’exécution des deux premiers actes de Castor et Pollux à la Schola Cantorum, « la clarté dans l’expression, le précis et le ramassé dans la forme […], la déclamation rigoureuse dans le récit, sans cette affectation à la profondeur allemande. »

 

RameauMoqué par Rousseau

Belle émission où un comédien, dans la peau de Rameau, témoigne de la rudesse et de l’intransigeance du personnage, où la musicologue Sylvie Bouissou, auteur d’un Jean-Philippe Rameau (Ed. Fayard) couronné, il y a quelques semaines, par le jury du Prix des Muses-Singer Polignac, explique comment le musicien, s’il n’avait pas atteint sa quarantième année, aurait simplement disparu de nos tablettes. C’est à quarante ans, en effet, que Rameau, provoqua le scandale avec une représentation à Paris d’Hippolyte et Aricie, son premier opéra. Ce n’était que son premier combat et, tant en qualité de compositeur (moqué par Jean-Jacques Rousseau) que de théoricien, Rameau fut la cible de tous les conservatismes de l’époque. Il fallut du temps pour que l’on comprenne qu’il était le meilleur.

 

Pianotez sur Internet

Belle émission également avec les somptueuses illustrations musicales qui ont été rassemblées et grâce à la présence de quelques ramistes confirmés, dont le chef d’orchestre Marc Minkowski à l’enthousiasme communicatif.

Sans attendre une éventuelle rediffusion, pianotez sur Internet pour voir (jusqu’au 14 juin) ce document exceptionnel.

 

Une tristesse affreuse

Le chanteur et le penseur : l’art bourgeois selon Roland Barthes (à droite)

Le chanteur et le penseur : l’art bourgeois selon Roland Barthes (à droite)

Sous le titre « L’art vocal bourgeois » (l’un des chapitres des Mythologies), Roland Barthes note : « Cet art est essentiellement signalétique, il n’a de cesse d’imposer non l’émotion, mais les signes de l’émotion. C’est ce que fait précisément Gérard Souzay : ayant, par exemple, à chanter une tristesse affreuse, il ne se contente ni du simple contenu sémantique de ces mots, ni de la ligne musicale qui les soutient : il lui faut encore dramatiser la phonétique de l’affreux […] Malheureusement ce pléonasme d’intentions étouffe et le mot et la musique… »

 

L’Opéra de Paris programme rarement les ouvrages de Rameau, malgré cette statue qui orne sa façade…

Traumatisé !

Cette déclaration, rapportée au cours du colloque sur Roland Barthes que la Fondation Singer-Polignac vient d’accueillir, aurait, paraît-il, fortement traumatisé notre baryton national, lequel aurait même murmuré : « Barthes a détruit ma carrière. » Par la suite, Barthes accusa Dietrich Fischer-Dieskau des mêmes maux, et sa carrière n’en fut pas affectée. Les textes des Mythologies datent du début des années cinquante et sont, notamment en référence à « l’art bourgeois », sensiblement datés. Mais les Mythologies, je dois le reconnaître, ont marqué ma génération. Est-ce contre l’art bourgeois et ses apparences (même vestimentaires) que nous nous sommes précipités au TNP et au Festival d’Avignon, que nous avons créé le Festival de Royan ? Vaste sujet…

Je n’ai pu suivre le colloque Roland Barthes, qui m’aurait peut-être éclairé sur ce point, mais j’ai assisté au concert qui a clos ces deux journées de réflexion ; un pan d’histoire de la musique de Bach à César Franck, en passant par Webern (les minuscules Bagatelles pour quatuor à cordes de 1911, si modernes !), Fauré (l’art bourgeois ?…), Schubert, Schumann et Ravel. Je ne commenterai pas ce choix judicieux, mais la qualité exceptionnelle des différents interprètes, dont aucun n’a encore entrepris LA carrière, ce qui ne saurait tarder : le baryton Jean-Christophe Lanièce, le violoniste Amaury Coeytaux (déjà violon solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France), le claveciniste Ronan Khalil, les pianistes Ismaël Margain et Guillaume Bellom, ainsi que le Quatuor Hanson, deux ans d’âge, et lauréat du Concours européen Musiques d’ensemble de la Fnapec (Fédération nationale des Associations de parents d’élèves des Conservatoires).

De magnifiques artistes qui jouent comme si leur vie en dépendait. Superbe technique, cela va sans dire, et investissement permanent. C’est ainsi que je conçois l’amour de la musique, même si j’ai quelque plaisir à réentendre la magnifique Martha Argerich et le superbe Maurizio Pollini.

 

Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704). Considéré en son temps comme le plus grand violoniste de notre continent. Longtemps au service du Prince-archevêque de Salzbourg. Anobli avant d’être oublié…

Biber. Considéré en son temps comme le plus grand violoniste de notre continent. Longtemps au service du Prince-archevêque de Salzbourg. Anobli avant d’être oublié…

Le mélange des genres

Elle ne figure plus parmi les futurs grands car son talent est déjà confirmé, reconnu : la violoniste Isabelle Faust vient de se produire au Centre Georges Pompidou à Paris dans le cadre du festival Manifeste de l’Ircam. Et elle s’est pliée à une règle qui ne devrait plus être l’exception dans nos salles de concerts : le mélange des genres. Elle enchaîna Johann Georg Pisendel (1687-1755, encore un contemporain de Rameau !) et George Benjamin, vedette actuelle de la musique britannique ; de même fit-elle voisiner le suisse Heinz Holliger et un certain Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704) dont les Sonates du Rosaire devraient être en tête de liste des chefs-d’œuvre méconnus.

 

Isabelle Faust, la soliste qui se promène à travers les époques avec son magnifique instrument : le Stradivarius « Belle au bois dormant », mis à sa disposition par la L-Bank Baden-Württemberg (Ph. Broede)

Isabelle Faust, la soliste qui se promène à travers les époques avec son magnifique instrument : le Stradivarius « Belle au bois dormant », mis à sa disposition par la L-Bank Baden-Württemberg (Ph. Broede)

Au-delà des préjugés

Au cours de ce périple, Isabelle Faust sut nous convaincre du bien-fondé de sa démarche, d’autant plus qu’elle se paya le luxe d’une création, signée Michael Jarrell : première audition de la version avec électronique de Dorndöschen (Nachlese IVb) — titre, dit l’auteur, emprunté à Goethe pour cette pièce originalement concertante. Une partition richement inventive malgré la modestie des moyens mis en œuvre.

Déclaration de principe de la soliste : « L’écoute du baroque comme du contemporain est bien différente lorsqu’on les confronte. » Au-delà des préjugés des organisateurs de concert, qui sous-estiment la curiosité de leur public, j’engage vivement d’autres solistes, et même les plus grands, à suivre l’exemple d’Isabelle Faust.

 

Feuilleton concours (suite)

Le Concours de violon Michael Hill de Nouvelle Zélande (5-13 juin) annonce le résultat des demi-finales : six candidats ont été retenus dont trois coréennes et une japonaise…

 

(DR)

(DR)

 
 
 
Couv Diapason blogRetrouvez la chronique de Claude Samuel dans le magazine Diapason de juin 2015 :
 
 
« Ce jour-là, 27 octobre 1788 : Mozart compose l’ouverture de Don Juan »
 
 
 
 

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Claude Samuel

Claude Samuel

Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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