Le blog de l’été (4) – Ce jour-là : 9 mai 1781

 

Un peu dépassé, papa Leopold !

Un peu dépassé, papa Leopold !

Ce jour-là, Mozart était revenu à la Deutsche Haus, quartier général (temporaire) à Vienne de l’archevêque Colloredo. Ce jour-là, Mozart avait explosé et laissé libre cours à son insolence. Ce jour-là, il rompait définitivement avec Salzbourg qu’il exécrait, choisissant les risques et les délices de la liberté. 9 mai 1781 : date mémorable dans le stupéfiant parcours de l’auteur de Don Juan.

Et cet affrontement avec son seigneur et maître, Mozart en consigna, non sans malice, le moindre détail dans une lettre adressée à Leopold Mozart, ce père, sujet très obéissant de l’archevêque, qui tremblait de peur à chaque incartade de son fiston…

 

 

L’Archevêque Colloredo, que Mozart détestait « jusqu’à la frénésie » !

L’Archevêque Colloredo, que Mozart détestait «jusqu’à la frénésie» !

Pouilleux, gueux, crétin

« Lorsque je me présentai à lui, la première chose fut : Arch : Alors, quand part ce garçon ? (lisez : quand rentrera-t-il enfin au bercail ?) Moi : je voulais partir cette nuit, mais il n’y a plus de place. Alors, il explosa, et d’un seul coup, sans prendre haleine, il me dit que j’étais le plus grand polisson qu’il connaisse, que personne ne le sert si mal que moi, qu’il me conseille de partir le jour même, faute de quoi il écrira à ses gens qu’on retienne mon salaire. Il était impossible de répondre, il continuait comme un feu de brousse — j’écoutai le tout avec calme. Il me traita de pouilleux, de gueux, de crétin — oh, je ne veux pas tout vous écrire. Finalement, mon sang bouillonnait tellement, je n’y tins plus et je dis : Ainsi, Votre Honneur n’est pas satisfait de moi ? — Quoi, il veut me menacer, le crétin ! Voilà la porte, la voilà, je ne veux plus rien avoir à faire avec un si misérable gamin. Enfin, je dis : et moi non plus avec vous ! — Alors, filez ! Et moi, en sortant : qu’il en soit ainsi ; demain vous recevrez ma démission ! »

 

La démission

Pauvre Leopold que la suite de cette longue missive — plus on est embarrassé, plus on détaille ! — est destinée à rassurer : « Ne vous faites pas de souci pour moi. L’archevêque est détesté de tous ici, et en particulier de l’Empereur […] Par ailleurs, je vous prie d’être gai — car mon bonheur commence maintenant, et j’espère que mon bonheur fera aussi le vôtre. »

Et une précaution diplomatique : « Ecrivez-moi en chiffres que vous vous réjouissez, et vous pouvez vraiment vous réjouir — mais officiellement, faites-moi des réprimandes amères afin qu’on ne puisse rien vous reprocher. » Et la double chute : « Je ne veux plus rien savoir de Salzbourg. Je hais l’archevêque jusqu’à la frénésie » — « Faites-moi bientôt connaître votre satisfaction, car c’est la seule chose qui manque encore à mon bonheur actuel »…

Enfin, le lendemain, Mozart remit officiellement au Comte Karl Arco — maître des cuisines à la Cour de Colloredo et, à ce titre, chef du personnel — sa lettre de démission. Cette scène-là aussi fut violente, et l’on rapporte que le Comte se débarrassa du jeune insolent en visant son postérieur. Réflexion de Wolfgang-Amadeus, où se profile déjà l’ombre des Noces de Figaro : « Je ne suis pas un comte, mais j’ai peut-être plus d’honneur au cœur que bien des comtes et, valet ou comte, du moment qu’il m’outrage, c’est une canaille ! » Leopold, toujours pris à témoin : « Réjouissez-vous de ne pas avoir un poltron pour fils. » Certes… Que répondit l’autorité paternelle ? On ne le saura pas : curieusement, toutes les lettres écrites par Leopold Mozart entre 1781 et 1787 ont disparu. Mais la prose du fils permet d’imaginer les mises en garde du père.

 

Votre Grandeur Princière…

Le 9 mai 1781 Mozart a vingt-cinq ans, et déjà près de quatre cents partitions à son actif, dont cet Idoménée, roi de Crète, créé trois mois auparavant, grand opera seria commandé par la Cour de Munich à l’occasion du Carnaval. Pour préparer l’événement sur place, les Mozart père et fils avaient demandé à l’Archevêque une permission de sortie : refusée pour Leopold, acceptée pour Wolfgang (afin de ne pas indisposer le prince-électeur de Bavière), mais limitée dans le temps : du 5 novembre 1780 (date du départ de Salzbourg) au 18 décembre. Or la création de l’œuvre avait été prévue le 21 janvier, avant même d’être retardée d’une semaine à la suite du décès brutal de l’Impératrice et, en tout état de cause, Mozart n’était pas pressé de rejoindre sa ville natale ; Colleredo lui-même, dignitaire de l’Empire, devait se rendre à Vienne, et y séjourner quelque temps, afin de présenter officiellement ses condoléances. Et c’est dans cette Deutsche Haus de la Singerstrasse, siège de l’Ordre des chevaliers teutoniques qu’on l’installa avec sa nombreuse suite, là où se déroula la grande scène du 9 mai, qui n’aura été que l’aboutissement d’une crise permanente.

Viva la libertà !

Viva la libertà !

Quatre ans auparavant, Mozart n’avait-il pas déjà rédigé (sous le contrôle paternel) une lettre de démission, en y mettant les formes ? «  Votre Grandeur Princière voudra bien m’autoriser à Lui demander très respectueusement mon congé […] Je remercie très respectueusement Votre Grandeur Sérénissime pour toutes les hautes faveurs qu’elle m’a témoignées, et dans l’espoir très flatteur de pouvoir servir avec plus de succès Votre Grâce Princière dans un âge plus mûr, etc… ». En 1781, ce sera nettement plus brutal, et définitif. Viva la libertà !

(Diapason – Chronique de novembre 2011)

 
 

Pour combler votre curiosité
Alfred Einstein : « Mozart » (Gallimard)
Jean-Victor Hocquard : « Mozart » (Seuil)
Brigitte et Jean Massin : « Wolfgang Amadeus Mozart » (Fayard)
et la correspondance de Mozart (sept volumes, Flammarion)
 

Le blog du vendredi 1er août :
18 mai 1911 : la mort de Gustav Mahler
 
 
 
Couv Diapason juillet-août 626Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro de juillet/août 2014 :
 
 
« Ce jour-là : 18 octobre 1752 : la création du Devin du Village »
 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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