La Comédie-Française – Clément Hervieu-Léger – Que sont les critiques devenus ? – Les Paparazzi à Pompidou – La récréation de Frédéric Mitterrand – Les orchestres de la Radio

 

C’est parce qu’ils allaient au théâtre que les metteurs en scène lyriques, voici déjà quelques décennies, ne se sont plus contentés de faire chanter leurs ténors la main sur le cœur ; et c’est surtout parce qu’ils ont invité, non sans aigreur parfois, les Lavelli, les Chéreau et autres Bob Wilson sur leurs terres jusque-là réservées, qu’ils ont, à leurs risques et périls, changé notre œil de spectateur. Aux metteurs en scène qui hésitent encore entre le retour aux bonnes recettes du passé, lesquelles, finalement, ne gênent pas trop les mélomanes dont le beau chant suffit à leur bonheur, et certaines extravagances illisibles, je conseille vivement de passer une soirée à la Comédie-Française – Salle Richelieu.
 

Quand Philinte (Eric Ruf) raisonne Alceste (à dr.)

Quand Philinte (Eric Ruf) raisonne Alceste (à dr.)

L’exalté

On y présente actuellement une nouvelle production du Misanthrope mise en scène par Clément Hervieu-Léger ; un modèle de travail scénique d’une fluidité et, justement, d’une lisibilité absolues, dans l’invention et la rigueur. Les comédiens pris par la main sur des parcours minutieusement balisés. Et quels comédiens ! Il est vrai que les spectateurs de la Comédie-Française, dont je suis, savent que la troupe dirigée par Muriel Mayette, peut-être demain par Jérôme Deschamps, notre ami de l’Opéra-Comique, est somptueuse : la coquette Célimène de Georgia Scalliet est aussi une amoureuse sincère et l’étonnant Alceste de Loïc Corbery, plus jeune que de coutume mais exalté comme le prescrit le texte de Molière, est magnifique dans cette fureur de provocateur dostoïevskien. On ne rit pas. Le Misanthrope la pièce la plus dramatique de notre grand auteur comique ?

Je note que Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2005, s’est aussi frotté à l’opéra ; c’est lui qui a mis en scène en 2011 la Didone de Francesco Cavalli, une production des Arts Florissants dirigée par William Christie. Il avait également signé la dramaturgie de Platée à l’Opéra du Rhin. Une belle passerelle entre des disciplines jumelles.
 

Week-end à Metz, capitale de la Lorraine — retour sur des terres qui me sont familières. Invité par le Salon « Littérature et journalisme » qui vient de se tenir sur la Place de la République, cette très vaste place que je connus jadis bourrée de militaires en uniforme, puis transformée en parking avant de devenir un lieu de vie. Belle opération des maires constructeurs (hier, Jean-Marie Rausch, aujourd’hui Dominique Gros). Au fond de la place, l’Arsenal, remarquable complexe culturel où nous avons œuvré pendant huit ans à l’enseigne du Centre Acanthes et où je me retrouve pour colloquer sur le thème de la critique musicale, plus précisément sur son déclin, sinon sa disparition annoncée. Où est le temps, en effet, où trois signatures musicales ornaient la page culturelle du Figaro et du Monde ? Où, moi-même, je traitais pratiquement chaque semaine un sujet musical dans Le Point ?

On colloque donc sur la perte de nos repères, sur le mélange des genres (« musique » ? Mais laquelle ?), sur la crise de la presse écrite. En face de moi, Jean-François Ramon, le directeur de l’Arsenal, Richard Bance, qui fut longtemps le journaliste responsable des pages culturelles dans Le Républicain Lorrain et Georges Masson lequel, au bénéfice de l’âge, a connu la période faste et poursuit néanmoins ses comptes rendus réguliers. De vraies critiques, comme on n’en fait plus, compétentes, fouillées, élégamment écrites. Un exemple très peu suivi, il faut le dire, dans la presse régionale. Je lui parle de l’avenir : les blogs. Je le soupçonne d’écrire encore à la main, avec une plume Sergent-Major.
 

Les Paparazzis en Lorraine - Pas vus, pas pris !

Les Paparazzis en Lorraine – Pas vus, pas pris !

Les sensibilités fragiles

Avant d’attaquer une heure vingt-deux de TGV (cinq heures et changement à Bar-le-Duc lorsque, gamin, j’allais rendre visite à mes grands-parents), je file au Centre Pompidou, la grande réussite de Laurent Le Bon, son directeur. L’expo de ce printemps, ce sont les Paparazzi, ces voyeurs que les stars guettent avec gourmandise avant de dénoncer leur indiscrète intrusion, parfois même de les assigner en justice. Visite détaillée en compagnie de Pascal Rostain, qui se vante d’avoir été l’un de nos plus anciens voleurs d’images. En tout cas, il parle en grand professionnel de la technique et des vertigineux échafaudages qui traquent de beaux moments d’intimité supposée. Quelques photos étonnantes, et certaines qui peuvent « heurter des sensibilités fragiles » : Jackie Kennedy nue, par exemple.

Metz, grande place militaire où le colonel de Gaulle régnait avant la guerre, est bien entré dans la modernité.
 

Le sourire des mauvais jours. Quel chemin de croix !

Le sourire des mauvais jours. Quel chemin de croix !

Un métier de chien

C’est avec six mois de retard que j’attaque le livre de Frédéric Mitterrand La récréation ou grandeurs et servitudes de la fonction ministérielle (Ed. Robert Laffont)… J’ai quelques excuses : le pavé, écrit au jour le jour, fait 723 pages ! Il n’en faut pas moins pour suivre les réunions, les rendez-vous, les voyages, les états d’âme et même les escapades extra-institutionnelles d’un homme qui, malgré le patronyme prestigieux qu’il porte, n’était pas destiné à gérer la culture de la France.

Si on ne le savait déjà, on découvre que c’est un métier de chien. On fait des voyages passionnants, mais en coup de vent, on navigue entre les engueulades et les flatteries, dont l’intéressé n’est pas dupe, on tente, contre vents et marées, de nommer aux postes vacants les personnes dont on pense connaître les capacités (mais on n’a pas le droit de se tromper), et  on ne peut même pas aller tranquillement au spectacle, comme tout le monde.

Quant au lecteur, il doit suivre à la trace Jean-Pierre, Richard, François (oui, c’est le premier ministre), Georges-François, Michèle, Roselyne ou Martine. Et Pascal, (un amour de jeunesse), et Rachida (« une enquiquineuse patentée »), et Carla (une amie de cœur), et Mathieu (son fils). Le parcours est codé. Seule référence assurée : le président, qui a toujours raison. Serai-je renommé au prochain remaniement ? Il a froncé les sourcils, mauvais signe…
 

« Ils ont raison »…

Frédéric Mitterrand, je l’avais rencontré, comme tout le monde, au cours de ses nombreuses et diverses activités. Souvenir : il m’interrogea longuement devant les micros d’Europe 1 lorsque fut publié mon livre sur Clara Schumann, et j’avais constaté, non sans surprise, qu’il l’avait vraiment lu. Installé rue de Valois, il me lança à plusieurs reprises : « Claude, il faut qu’on se voie ! » Oui, Monsieur le Ministre — mais il n’avait pas le temps. Jusqu’au jour où son secrétariat m’appela : « Le Ministre aimerait que vous participiez à un déjeuner pour parler du problème des orchestres. Etes-vous libre le 21 décembre (2010) ? » Ce qui donne, dans La récréation : « Déjeuner table ronde sur la situation des orchestres en France à la suite d’une série d’articles de Benoît Duteurtre et de Christian Merlin qui critiquaient l’action du ministère. Ils ont raison. Mais là, devant le ministre, tout le monde met un bémol aux accusations ». Mais, Monsieur le Ministre, il fallait lire entre les lignes.

Au moment du café, il se tourna vers moi (j’étais à sa droite, quel honneur !) et me dit : « Parlez-moi des orchestres de Radio France ». — Si vous me donnez une bonne heure, je pourrai me débrouiller…

Conclusion : un ministre doit déjà tout savoir avant d’accéder à la fonction. Or, sur les vingt ministres qui se sont succédé au Palais-Royal, d’André Malraux à Aurélie Filippetti, pour combien d’entre eux la culture était-elle une préoccupation prioritaire ? Généreusement, j’en compte une demi-douzaine. Et combien d’entre eux avaient fait entrer dans leur vie la musique (classique), au-delà de quelques soirées mondaines à l’Opéra de Paris ? Poser la question, c’est, hélas, y répondre !
 
 
 
Couv Diap Avril 2014Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro d’avril 2014 :

« Ce jour-là : 20 mars 1949 Chostakovitch s’envole pour New York »
 
 
 
 

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Claude Samuel

Claude Samuel

Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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