L’époux de la violoniste – Les Intermittents – Le Gagaku Yû-sei – La Grande Battle en prime time – Le talent de Jean-François Zygel – La Maison d’Izieu – Sabine Zlatin et Serge Klarsfeld

 

La télévision n’est pas mon obsession majeure. Pourtant, lorsque, par très grand hasard, aucun concert, aucune représentation théâtrale, aucun opéra n’est inscrit sur mon agenda, je m’offre, non sans avoir consulté attentivement le programme, une soirée sur petit écran. Ce fut le cas mardi dernier et, pour diverses raisons, je ne l’ai pas regretté.

Premier acte — Il est 20 heures, je tombe sur le journal et sur l’éminent époux de la violoniste dont nous avons récemment parlé, lequel présente son programme allegro marcato pour ne pas dire rinforzando et même, sur la fin, con fuoco. Bravo l’artiste ! On poursuit avec un mini tremblement de terre sans rapport avec le contenu des précédents propos, sinon par un inquiétant concours de circonstances ; mini, mini, cette secousse — et ce lit qui hoquette, je l’ai testé à plusieurs reprises à Tokyo, mais on en parlait à peine.

Après l’Opéra de Paris, en attendant Bourges et les festivals de l’été (qui sera chaud), les Intermittents du spectacle s’invitent à France 2… Mais qui a ouvert la porte ???

Après l’Opéra de Paris, en attendant Bourges et les festivals de l’été (qui sera chaud), les Intermittents du spectacle s’invitent à France 2… Mais qui a ouvert la porte ???

Cible évidente
Puis tout s’arrête, le temps d’apercevoir une foule qui envahit le studio (qui a ouvert la porte ? où sont les agents de sécurité auxquels on doit montrer patte blanche quand on a un rendez-vous dans la maison ?) et brandit des pancartes ; on apprendra bientôt que la direction de France 2 est vraiment désolée de cet incident ; on saura également que les manifestants, intermittents du spectacle en colère, souhaitent prendre la France entière à témoin de leurs inquiétudes. Avaient-ils visé la séquence précédente ? Un ministre est une cible évidente ; il y a quelque dix années, ils avaient expérimenté le coup publiquement, et ce fut à l’origine du départ de Jean-Jacques Aillagon, un de nos bons ministres de la Culture.

Ces intermittents, qui avaient alors provoqué l’annulation des Festivals d’Aix-en-Provence et d’Avignon, venaient de traverser le Rhône, débarquaient à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, me sommaient d’annuler le Centre Acanthes, et de renvoyer dans leur foyers les quatre-vingts stagiaires qui, certains après un très long voyage, venaient d’arriver dans notre Septimanie, comme disait Georges Frêche.

Sous bonne garde
Difficile d’expliquer à notre compositeur japonais invité, l’excellent Toshio Hosokawa, que défendre la culture consiste d’abord à faire sombrer le navire… Ce fut une année difficile, avec clôture de certains lieux de concerts et lecture de communiqués vibrants avant chaque manifestation. Sous bonne garde, nous accueillîmes néanmoins, le dernier jour, l’Ensemble du Gagaku Yû-sei qui officia selon les traditions japonaises les plus pures dans le Cloître de la Collégiale Notre-Dame. Apaisement. Superbe souvenir !

Les quatre moines-chanteurs, surgis du fond des âges. Ils avaient fait l’aller-retour Tokyo-Marseille pour deux représentations, les 22 et 23 juillet 2003…

Les quatre moines-chanteurs, surgis du fond des âges. Ils avaient fait l’aller-retour Tokyo-Marseille pour deux représentations, les 22 et 23 juillet 2003…

À la moulinette
Deuxième acte — Retour à notre programme : c’est admirable de pouvoir enfiler autant de communiqués et de flashes promo, avec l’espoir de retenir une poignée de téléspectateurs. L’école de la patience. Pour ma part, j’attends avec curiosité le programme « musical » qui suit et que le service de presse a cru bon de me signaler. Cela s’intitule, pour la troisième année consécutive, La Grande Battle, titre qui n’est, il faut le dire, guère encourageant ; mais il s’agit d’un jeu autour de la musique classique, tout ce que j’aime, ayant moi-même jadis proposé quantité de jeux aux auditeurs de France-Musique et, à la demande d’un des nombreux directeurs de la chaîne encore unique de la télévision française, envoyé différents projets, dont une formule ludique qui ne fut pas retenue (l’une de mes nombreuses frustrations…). Ce soir, on passe à la moulinette quelques thèmes classiques bien connus, de la Reine de la Nuit à la Moldau en passant par le 1er Prélude du Clavier bien tempéré.

Vaste sujet régulièrement illustré, notamment naguère par l’iconoclaste Mauricio Kagel, pas un auteur « de prime time ». Ce soir, en présence d’un public débordant d’enthousiasme,  lequel (en collaborant avec un bataillon d’internautes) est censé départager les artistes qui se livrent à cette coupable industrie.

Jean-François Zygel, le grand explicateur, modeste, clair et souriant

Jean-François Zygel, le grand explicateur, modeste, clair et souriant

La confusion des genres
On se lance des tonnes d’amabilités, avec les encouragements de la pétaradante Virginie Guilhaume, style variété grand public ; tout cela nous vaut naturellement une luxueuse mise en images à une heure de grande écoute. Avec, pour enrichir le paquet-cadeau, la collaboration méritante de l’Orchestre Lamoureux et de son chef Fayçal Karoui ainsi que la caution de Jean-François Zygel, pianiste et compositeur bourré de talent, plein d’humour aussi, qui donne l’exemple sans vouloir pour autant se substituer à Mozart, Dvorak et Bach. Mais il est vraiment l’exception dans une équipe dont la légèreté n’est pas la vertu majeure. En aurais-je parlé, d’ailleurs, si la chaîne n’avait pas présenté cette Battle comme « l’événement musical » de la semaine. Confusion des genres !

Enfin, j’engage vivement la jolie Virginie à ouvrir l’un de nos excellents dictionnaires de la musique à la rubrique « tempo ».

L’Alsace et la Lorraine
Troisième acte — Le document de la mémoire présenté par Romain Icard dans la belle émission Infrarouge, laquelle aurait vraiment mérité le « prime time ». C’était il y a soixante-dix ans, le 6 avril 1944, quelques semaines avant le débarquement allié en Normandie ; à la suite d’une dénonciation dont on a soupçonné l’auteur (français), toujours impuni, la police de Klaus Barbie fit irruption dans la Maison d’Izieu (département de l’Ain, zone d’occupation italienne), lieu de refuge d’enfants juifs dont la plupart des parents étaient déjà déportés. Quarante-quatre enfants, de quatre à dix-sept ans et six adultes, chargés dans les camions de la Gestapo entonnèrent « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », et furent assassinés dès leur arrivée à Auschwitz.

Des livres témoignent douloureusement de cette tragédie. Document majeur : La Dame d’Izieu (Ed. Gallimard), mémoires de Sabine Zlatin, la jeune infirmière de la Croix-Rouge, qui fut l’âme de cette Maison. En voyage dans la région de Montpellier pour recueillir de nouveaux enfants, elle revint le lendemain du drame et constata que la Maison était vide. Son mari, Miron Zlatin, agronome et intendant du lieu, sera fusillé quelques jours plus tard.

Consulter également le magnifique travail de Serge Klarsfeld, Les enfants d’Izieu, une tragédie juive. Et Les enfants d’Izieu de Rolande Causse aux Editions du Seuil.

Une plaque, rue Madame… Sabine Zlatin est morte le 21 septembre 1996, à 89 ans.

Une plaque, rue Madame… Sabine Zlatin est morte le 21 septembre 1996, à 89 ans.

Le Panthéon
Souvenir : c’est en 1989, à l’occasion d’un stage de jeunes musiciens et dramaturges à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon que Rolande Causse me suggéra d’illustrer musicalement ce qui était déjà un poème. Le projet fut réalisé avec les ressources musicales de Radio France qui commanda une partition nouvelle au compositeur vietnamien Nguyen Thien Dao, ce parisien de longue date, un des élèves préférés d’Olivier Messiaen dont la trajectoire personnelle s’inscrit aussi dans ce drame de l’histoire contemporaine. Souvenir intense : la visite que je fis alors à Sabine Zlatin dans son appartement au 46 de la rue Madame — une femme extraordinaire, qui pourrait utilement accompagner Germaine Tillon, dans ce Panthéon que les politiques remettent dans l’actualité.

De nouvelles célébrations sont prévues à Izieu en 2015 dans la Maison où d’importants travaux de rénovation ont été entrepris. J’imaginerais volontiers que la magnifique partition de Dao, créée à la Chartreuse en juillet 1995 et enregistrée alors dans la collection MFA-Radio France, les accompagnent.

Quatrième acte : toujours sur France 2, le procès d’Eichmann… La nuit était bien avancée, mais je me suis promis de reprendre, à la rubrique « tortionnaires », la lecture d’Eichmann à Jérusalem, l’épais volume d’Hannah Arendt (Gallimard), toujours en bonne place dans mon bureau de travail. Le Rwanda aussi, je sais…

Pour ma prochaine soirée télé, je commencerai par la fin…
 
 
 
Couv Diap Avril 2014Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro d’avril 2014 :

« Ce jour-là : 20 mars 1949 Chostakovitch s’envole pour New York »
 
 
 
 

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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