Musiques d’Outre-Rhin – des Zeitmasse à l’Opéra des sept jours – Peter Eötvös et Michel Tabachnik – La voirie parisienne – Les vainqueurs d’Orléans – Mort d’un centenaire

 

Bonne idée d’associer Richard Wagner (1813-1883) et Karlheinz Stockhausen (1928-2007) pour une série de concerts donnés cette semaine à la Cité de la musique. L’un et l’autre représentent deux moments majeurs de la musique d’Outre-Rhin ; l’un et l’autre étaient persuadés de leur génie, et furent rudement contestés ; l’un et l’autre avaient le sens de la démesure ; l’un et l’autre portaient un message mystico-philosophico-spirituel ; l’un et l’autre se sont emparés d’un héritage, l’ont bousculé et l’ont propulsé vers des voies nouvelles, insoupçonnables, dont les prolongements, en ce qui concerne l’aîné, ont marqué, notamment en France et en divers sens, toute une génération de compositeurs.

La table rase
Sans doute, Stockhausen fut plus radical. Surgissant dans le monde de la musique à l’issue d’un conflit mondial qui ébranla habitudes et certitudes, il pratiqua les chances et les risques de la « table rase ». Lorsque je l’ai rencontré, à l’époque de sa jeunesse conquérante, dans son studio de la Radio de Cologne où il venait de composer Le Chant des Adolescents, il me prédit alors la mort de notre univers instrumental traditionnel, et cet univers, en effet, il ne cessa de l’élargir, de le pulvériser, de le distendre, de le transfigurer et de l’expédier sur d’autres planètes. Voir Sirius, qu’au Centre Acanthes (« Centre Sirius » en sa première année) nous avons, en sa compagnie, longuement exploré.

Les interprètes de Sirius autour du compositeur : Boris Carmeli, Suzanne Stephens, Annette Merriweather et Markus Stockhausen – Création à Aix-en-Provence – 8 août 1977

Les interprètes de Sirius autour du compositeur : Boris Carmeli, Suzanne Stephens, Annette Merriweather et Markus Stockhausen – Création à Aix-en-Provence – 8 août 1977

Karlheinz Stockhausen explique sa musique. Je le photographie. C’était à Metz, en novembre 1973.

Karlheinz Stockhausen explique sa musique. Je le photographie. C’était à Metz, en novembre 1973.

Les sept jours
Marqué comme tous les aventuriers de l’immédiate après-guerre, il avait commencé par pratiquer le sérialisme webernien dont une pièce comme les Zeitmasse révèle toute l’austérité — époque où le compagnonnage avec Pierre Boulez était évident, époque qui aboutit paradoxalement, chez l’un et chez l’autre, à l’introduction de l’aléatoire, dûment contrôlé par l’auteur du Marteau sans Maître. Mais tandis que Pierre Boulez (qui est entré avant-hier dans sa quatre-vingt-dixième année !) développa patiemment une œuvre toujours en devenir et ne cessa d’approfondir ses propres sillons (en ce moment, dans sa résidence de Baden-Baden, il remet ses Notations sur sa table de travail), Stockhausen ne cessa de prospecter dans des ailleurs fascinants/déconcertants, avec spectacles à la clef. Boulez a souvent évoqué cet opéra, qu’il n’a jamais composé ; Stockhausen, lui, nous a offert un Opéra des sept jours (Aus den sieben Tagen), dont les dimensions nous renvoient à certaine Tétralogie.

On bat le blé !
362 partitions inscrites à son « catalogue officiel », dont des œuvres-événements, qui dépassent largement le périmètre musical : ainsi Herbstmusik (on bat le blé !),  L’Alphabet pour Liège (on fait du pain !) ou Sternklang (on somnole entre ciel et terre !). Forts souvenirs personnels, du côté de La Rochelle et au Parc de Saint-Cloud. Travailler avec Stockhausen constituait un vrai défi que nous surmontâmes, malgré les exigences du musicien, toujours dans l’amitié.

Pour cette semaine rétrospective, la Cité de la Musique a notamment choisi deux pièces de grande envergure, deux raretés dans une salle de concert : Carré pour quatre orchestres et quatre chœurs, dirigé ce soir, vendredi, par Michel Tabachnik à la tête des Cris de Paris et du Brussels Philharmonic et les Momente dont la version de 1972 a été dirigée mardi dernier par Peter Eötvös avec l’Ensemble Intercontemporain et le Chœur de la WDR de Cologne.

Un fichu parking
De longue date, j’attendais avec curiosité ces retrouvailles. Déception : ayant eu la fâcheuse idée de me rendre à la Cité de la Musique en voiture, mais c’est tout de même un désir légitime, je ne pus jamais me garer dans ce fichu parking public de la Cité qui, les soirées de spectacle au Zénith, est inaccessible. Après avoir sillonné pendant une demi-heure les rues adjacentes, j’ai renoncé avec grand regret. Que se passera-t-il quand la Philharmonie de Paris accueillera à court terme des orchestres internationaux, quand l’Orchestre de Paris aura quitté sa chère Salle Pleyel, si la voirie de Paris ne remet pas fondamentalement en cause sa politique-anti-voiture ? Pour l’instant, les deux candidates de dimanche n’ont pas évoqué le problème, impératif néanmoins si l’on ne veut pas entraver l’heureux développement d’un édifice grandiose excentré, qui nous aura coûté si cher.

Les grands silences
Actualité des Concours de musique — sujet pour lequel mes amis blogueurs connaissent ma prédilection ; et malgré la dureté des temps et l’indifférence des pouvoirs publics (les jeunes artistes, on en parle, mais il ne faut tout de même pas qu’ils creusent nos déficits), je n’ai pas l’intention de baisser les bras !

Champagne ! Aline Piboule, Kathrin Isabelle Klein, Imri Talgam, c’était le bon tiercé !

Champagne ! Aline Piboule, Kathrin Isabelle Klein, Imri Talgam, c’était le bon tiercé !

Il aura suffi d’assister, lundi dernier au Théâtre des Bouffes-du-Nord, à la soirée parisienne des lauréats du récent Concours d’Orléans (piano XXe siècle), pour confirmer la validité du combat. Les trois jeunes lauréats ont magnifiquement dominé leur sujet : l’allemande Kathrin Isabelle Klein (troisième prix), la française Aline Piboule (deuxième prix) et l’israélien Imri Talgam (premier prix) dont le Boulez (Incises, version 2001), superbe de précision et de souplesse, a été plus convaincant que le Messiaen (Regard de l’Esprit de Joie) où manquèrent les grands silences tant affectionnés par le Maître. C’est Jérôme Combier qui a composé l’œuvre (intitulée Lichen), imposée en finale — pièce inventive mais qui ne met guère en vedette l’instrument du Concours, celui-ci étrangement relégué derrière les musiciens de l’Ensemble Cairn.

Prochaine compétition dans l’Hexagone : le 10e Concours de musique de chambre de Lyon, consacré cette année aux duos violon-piano. Prenez date : du 27 au 30 avril.

L’actualité d’un vétéran…

L’actualité d’un vétéran…

Entre Florent Schmitt et François Mitterrand

Etait-il le doyen des compositeurs français ? André Lavagne vient de mourir à Paris, à cent ans, sept mois et douze jours. Après de solides études au Conservatoire de Paris dans les années trente, il décrocha un Second Grand Prix de Rome grâce aux Amours du Roi Salomon et de la Reine de Saba. Vinrent la guerre, et l’Occupation ; et, apparemment sans état d’âme, il accepta, alors investi d’une fonction officielle à la Sacem, d’être le secrétaire général de la section musicale du Groupe Collaboration, aux côtés d’un certain Florent Schmitt. Plus tard, dans le cadre des Maisons d’Education de la Légion d’Honneur, il organisera des concerts dont, nous dit-on, le président François Mitterrand fut l’un des fidèles. …Comme ils s’aiment, c’est le titre de son opéra de jeunesse, tombé dans les oubliettes…

 

Couv Diap Avril 2014Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro d’avril 2014 :

« Ce jour-là : 20 mars 1949 – Chostakovitch s’envole pour New York »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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