Mozart à Versailles – L’Opéra Lafayette – Dorabelle et Fleurdelise – Les femmes vengées – Les Victoires de la musique – Jean Babilée

 

Cosi fan tutte vient de faire un bref passage à l’Opéra Royal de Versailles. Cosi, aujourd’hui l’un des opéras chéris des mélomanes, a été créé (au Burgtheater de Vienne) en 1790, vingt ans après l’inauguration de l’Opéra Royal dont le futur Louis XVI et la pétillante Archiduchesse d’Autriche avaient été les hôtes à l’occasion de leur mariage. Mais l’opéra de Mozart ne fut pas à l’époque, ni plus tard d’ailleurs, à l’affiche des réjouissances princières, d’autant plus que le public français, qui s’intéressa d’abord aux Noces de Figaro, à Don Juan à La Flûte enchantée (maltraitée par un certain Louis-Wenceslav Lachnith, comme nous l’avons constaté, Salle Pleyel, il y a quelques semaines) dédaigna longtemps cette bluette amorale de Cosi fan tutte.
 

Un Cosi à l’ancienne
Aujourd’hui, des Cosi, nous en avons entendu et vu de toutes sortes — terrain de chasse de metteurs en scène inventifs, audacieux, irrespectueux. Mais le poids d’un théâtre d’époque maintenant ses exigences, c’est, si l’on peut dire, un Cosi à l’ancienne qui vient d’être représenté à trois reprises au théâtre de la Cour. Version francophone (avec surtitres néanmoins) et instruments d’époque. Décors et costumes sagement surgis du XVIIIe siècle. Et qui nous offre ces petites merveilles ? Des Américains, mais oui, à l’enseigne de l’Opéra Lafayette (Washington DC), appellation bien accordée à notre chronologie mozartienne et versaillaise…

Quant aux chanteurs et chanteuses, de la qualité à l’excellence, ils n’ont pas le moindre accent yankee pour la bonne raison qu’ils sont nés dans notre vieille Europe, voire au Canada : la Fiordiligi, dite « Fleurdelise », de Pascale Beaudin, la Dorabella, dite « Dorabelle » de Blandine Staskiewicz, le Guglielmo, dit Guillaume, d’Alex Dobson, le Ferrando, dit Fernand, d’Antonio Figueroa, la Despina, dite Delphine, de Claire Debono, le Don Alfonso, dit Don Alphonse, de Bernard Deletré. Bonne surprise : autant certains opéras chantés en français sont aujourd’hui insupportables (et je songe notamment à Wagner), autant, pour Cosi, le français n’est pas ici une profanation.

Delphine (lisez Despina) en costume de faux notaire pour un improbable mariage

Delphine (lisez Despina) en costume de faux notaire pour un improbable mariage

Les femmes vengées
Enfin, les réjouissances versaillaises de ce début d’année tirent de l’oubli avec les mêmes interprètes, le même jour et dans le même décor, la réplique de notre Cosi misogyne : les Femmes vengées de François André Philidor (1726-1795). Ce Philidor, passé à la postérité en sa qualité de fondateur du Concert Spirituel et qui fut aussi, dit-on, le meilleur joueur d’échecs de son temps, composa une vingtaine d’ouvrages lyriques, de L’Huître et les plaideurs à La Belle Esclave, en passant par Le Sorcier et Tom Jones. Mozart n’a rien à craindre de la concurrence.

Mais quel bonheur de se retrouver dans ce théâtre royal, à la fascinante beauté, à l’acoustique fabuleuse où, grâce à Jean-Jacques Aillagon, président du domaine de Versailles de 2007 à 2011 et à Laurent Brunner, inspirateur de cette renaissance et actuel directeur, les opéras, concerts et récitals se succèdent. À suivre, la semaine prochaine, Les Fêtes de l’hymen et de l’amour de Jean-Philippe Rameau puis, en mars, l’Herculanum de Félicien David, les sublimes Vêpres de Monteverdi dirigées par John Eliot Gardiner suivies par l’Artaserse d’un certain Leonard de Vinci.
 

Les valets de pied
Souvenir : il y a une grande trentaine d’années, j’ai organisé une saison Rameau avec mes amis François Lesure et Philippe Beaussant, autorités indiscutables en ce domaine ; après mille pourparlers, interventions au plus haut niveau et subtiles négociations, nous avons réussi à monter Naïs, opéra peu joué de Rameau, à l’Opéra Royal. Ce fut une véritable aventure en ce temps où le moindre déplacement d’une chaise dans ce lieu devait obtenir l’autorisation de la Présidence de la République. Nous avons eu le culot d’y installer les micros de France Musique qui, à force d’être dissimulés, devinrent vraiment inopérants, et le résultat fut indiffusable ! Et, tâche délicate, nous avions également la charge du placement de nos invités ; or, j’avais cru bon de donner au conservateur en chef du château, un homme qui adorait la musique et que je croisais chaque année au Festival d’Aix, un siège dans la loge royale. Je n’avais pas remarqué un petit décalage sur le plan ; mais lorsque notre conservateur arriva, il se tourna vers moi, et me dit sèchement : « C’était la place des valets de pied »…

Enfin, la tenue de soirée était naturellement de rigueur. Aujourd’hui, le chandail et le jean font l’affaire. Un progrès ?

Versailles : l’étiquette et l’apparat

Versailles : l’étiquette et l’apparat

Les Victoires
Depuis deux grandes décennies, je remplis soigneusement le questionnaire des Victoires de la musique : le meilleur soliste de l’année, la meilleure création de l’année, les meilleurs enregistrements de l’année (dont, hélas, faute d’en disposer, je n’ai pas écouté un centième, votant donc, comme tant de mes collègues, sur l’étiquette !). Tel est le sort des quelque trois cents jurés qui décernent les médailles. Le système n’est ni vraiment transparent, ni totalement démocratique, mais j’y participe néanmoins, n’appartenant pas à cette grande famille des abstentionnistes, ravis de critiquer, incapables de se prononcer.

En outre, c’est l’occasion d’entendre une fois par an, avant minuit, de la musique classique sur une chaîne nationale de la télévision, et ce miracle ne se boude pas. Donc, cette semaine, j’ai piqué au hasard quelques minutes de cette soirée captée au Grand Théâtre de Provence. Le hasard faisant bien les choses, je suis tombé sur Edgar Moreau, auquel le jury du Concours Rostropovitch attribua en 2009 le « Prix du jeune soliste », et la percée opérée par ce jeune violoncelliste sur la scène musicale depuis quatre ans prouve que les jurés ont visé juste.

Edgar Moreau : espoir confirmé !

Edgar Moreau : espoir confirmé !

Ah, les images !
Lundi soir, Edgar Moreau, présent en invité, a interprété la célébrissime Danse des Elfes de David Popper, morceau de bravoure  dont, je dois dire, je ne me lasse pas. Mais, hélas, excédé par les images virevoltantes, tourbillonnantes, tournoyantes que nous a imposées le réalisateur de France 3, j’ai fui rapidement.

Je sais qu’il est difficile de filmer la musique classique ; ce n’est pas une raison pour changer de cible toutes les quinze secondes, de l’archet du soliste à la baguette du chef, de sa baguette à son visage, du clarinettiste qui prend un bref solo aux cornistes qui guettent le leur, avec effets d’ombre et de lumières en supplément. Si vous filez sur Internet et cliquez sur la page d’accueil des Victoires où l’on vous offre l’incontournable Boléro d’un certain Maurice Ravel, vous aurez un aperçu des dégâts — signe que l’on ne fait pas confiance au message musical. Je saisis l’occasion pour rappeler le nom de l’un des seuls réalisateurs qui, jadis, savait filmer la musique : Jean-Christophe Averty, domaine jazz ! Un personnage, et un artiste !
 

Jean Babilée (à gauche) et Jean Cocteau, associés pour un ballet historique

Jean Babilée (à gauche) et Jean Cocteau, associés pour un ballet historique

Le jeune homme et la Mort
Jean Babilée, qui vient de mourir à 90 ans, n’était pas seulement un fabuleux danseur mais un artiste fascinant. Révélé en 1946 par Le jeune homme et la Mort, «mimodrame» de Jean Cocteau chorégraphié par Roland Petit sur la Passacaille de Bach, il transcenda les cadres traditionnels, mais sans ostentation, avec sa lumineuse présence. Nous nous étions connus dans l’émission de télévision « Pour le plaisir », et le plaisir de cette brève rencontre s’est gravée dans ma mémoire. Nous nous sommes revus au Festival de Royan où j’avais invité une production italienne de L’Histoire du Soldat de Stravinsky. Babilée en récitant, là aussi, magnifique !
 
 

Diapason 621 Fevrier 2014Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans Diapason, numéro de février 2014 :

« Ce jour-là : 18 juillet 1889 – Le voyage de Chabrier à Bayreuth » 

A propos de l'auteur

Claude Samuel

Claude Samuel

Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

Laisser un commentaire