Le marché du disque – Charles Cros et Thomas Edison – Schumann par Yves Nat – Chostakovitch – Michel Garcin et Bernard Coutaz – La presse toulousaine

 
Label en péril : il s’agit aujourd’hui d’Harmonia Mundi, dont la belle aventure aura duré un grand demi-siècle. C’est, en effet, au tour du plus ancien éditeur phonographique français indépendant de la musique classique d’affronter la tourmente : plan social, restructuration de la société, pétition des personnels. Réponse de la direction : « La chute du marché du disque (- 71% en onze ans), les changements de comportement des consommateurs (téléchargement, achat en ligne) ne nous permettent plus de préserver notre équilibre financier avec notre organisation actuelle. »

Mission impossible
On ne sait pas encore si notre sauveur national et Ministre du redressement productif se rendra au Mas de Vert, dans la bonne ville d’Arles, où Harmonia Mundi (après Paris et Saint Michel l’Observatoire) est installé depuis 1986, pour une mission impossible. Si les politiques se battaient pour sauver la musique de Marc-Antoine Charpentier ou de Pierre Boulez, cela se saurait. Il est vrai que pour Harmonia Mundi, comme pour toute l’activité discographique classique, le cycle « grandeur et décadence » aura été plutôt rapide.
 

« Bill » Christie, une histoire d’amour avec Harmonia Mundi

« Bill » Christie, une histoire d’amour avec Harmonia Mundi

Le poète et le clergé
Petit rappel historique :
1877 : Charles Cros (1842-1888), un poète, dépose à l’Académie des Sciences le mémoire dans lequel il décrit le «paléophone», tandis que l’Américain Thomas Alva Edison (1847-1931) met au point son «phonogramme». Le 11 octobre de cette même année, l’abbé Lenoir emploie le mot «phonographe» dans La Semaine du Clergé.
1905 : le disque remplace le cylindre.
1913 : Arthur Nikisch dirige le premier enregistrement de la Cinquième Symphonie de Beethoven.
1927 : la vitesse de rotation des disques est fixée à 78 tours-minute.
1948 : premiers enregistrements « haute fidélité » gravés en France et, le 21 juin, la présentation à New York du premier enregistrement « longue durée », où l’on passe d’un seul coup de cinq minutes à une demi-heure par face.
1958 : création d’Harmonia Mundi
1978 : invention du disque compact (CD) par Philips et Sony Corporation. Le nouveau produit sera mis sur le marché quatre ans plus tard. Parmi les premiers albums, la Symphonie alpestre de Strauss par Karajan et la Philharmonie de Berlin.

Ça gratte un peu…
Tout bon mélomane se souvient de son premier vinyle, religieusement préservé, sinon de son premier CD. Pour moi, ce fut un Schumann (la Fantaisie et les Etudes symphoniques) sous les doigts d’Yves Nat, publié par la marque mythique des Discophiles français, disque (n° DF 56) que je réécoute en écrivant ces quelques lignes ; ça gratte un peu, oui, et la pochette bleu de Prusse est un peu décollée mais le son est merveilleux et on n’a guère fait mieux en matière schumanienne.

C’était le temps où, à Paris, les grands labels étaient luxueusement installés dans le quartier des Champs-Elysées : Pathé-Marconi, Philips, Decca et Rca, et même le Chant du Monde, bras armé de la production soviétique où, pour la première fois, j’aperçus autour des petits fours l’illustre Chostakovitch. Les disques Véga occupaient une sorte d’hôtel particulier avec escalier monumental, à l’angle de la rue Beaujon et de l’avenue Hoche, où j’ai tenté d’œuvrer en faveur du répertoire contemporain pendant une quinzaine de mois. En face des grosses machines, dont les décisions artistiques se prenaient à Hambourg, Londres ou New York, les Français poussaient modestement quelques pions : Erato, qui donna dans le baroque avant que ce soit la mode, et dont le directeur artistique a laissé un nom dans l’histoire du disque : Michel Garcin.

L’entrepreneur
Quant à Harmonia Mundi, il est également l’histoire d’un homme, un vrai patron, ce que l’on nomme aujourd’hui un «entrepreneur» : Bernard Coutaz, qui quitta ce monde le 26 février 2010. Il réussit à fidéliser dans son catalogue des personnalités avant leur «starisation», tel Alfred Deller ou William Christie et, tout en même temps, instilla un peu d’avant-garde dans sa production. C’était un vrai bagarreur, qui n’aimait rien tant que ruer dans les brancards. Constatant que la Fnac ne s’intéressait guère à ses menus travaux, notant que les disquaires du coin, souvent mélomanes et de bons conseils, fermaient leurs portes les uns après les autres, il créa progressivement ses propres boutiques (quarante-cinq en France, trois en Espagne), modestes structures de type convivial réparties en France où ses productions voisinaient avec les quelques petits labels dont il assurait la distribution — musiques pour happy few (« chez moi, me dit-il un jour, on ne trouve pas la Cinquième de Beethoven »… ). Quel luxe !
 

Bernard Coutaz, l’homme des quarante-cinq boutiques

Bernard Coutaz, l’homme des quarante-cinq boutiques (DR)

Et le progrès ?…
Hélas, le discophile des années 2000 considère apparemment qu’il est plus facile de passer commande sur son écran, ou de fouiller, hors conseils avisés, dans une grande surface. On n’arrête pas le progrès…

En février, Harmonia Mundi annonçait la fermeture de quinze boutiques et la suppression de trente-huit emplois sur cent soixante-et-onze. Le mois dernier, la presse toulousaine s’est inquiétée : la boutique de la rue Gambetta est dans la charrette…

La musique classique, vivante ou enregistrée, n’est pas une cause nationale. On ne pleure pas, me direz-vous, parce que les marchands de cravates ne font plus d’affaires. Je garde mes anciennes cravates. Conservez vos CD, et plus encore vos vinyles dans leurs somptueux coffrets, objets de culture en voie de disparition…

 

banner_diapason_613Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de mai : « Ce jour-là : 13 avril 1742 – La création du Messie »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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