L’Opéra de Paris – l’Atelier Lyrique – Mozart et Rossini – le souvenir des Harawi – Janine Reiss, « maestro di canto » – Régine Crespin et Maria Callas – Karajan et Seiji Ozawa – Les « Dialogues des Carmélites »

Dans cette maison vibrionnante, constamment exposée, historiquement ingérable et particulièrement dispendieuse qu’est l’Opéra de Paris, dans cette maison de tous les désirs, de tous les plaisirs, de toutes les frustrations, de toutes les polémiques, il existe un jardin secret, hors des projecteurs quoique porteur d’avenir, qui fut lancé en 1995 par Hugues Gall, sous le nom de Centre de formation lyrique (et confié à Janine Reiss, laquelle fut discourtoisement débarquée par Gérard Mortier), qui porte aujourd’hui le titre d’Atelier lyrique. C’est le bras armé de la jeune génération et, de surcroît, un lieu de confrontation internationale. Les douze chanteurs (mais les places sont chères et les postulants triés sur le volet) qui se sont produits au début de la semaine au Palais Garnier appartiennent à six nationalités, où la France fait bonne figure aux côtés de jeunes artistes italiens, polonais, russes, roumains et portugais. Avec parité des sexes, sans décret particulier.

Sans les ficelles…
La mission de L’Atelier Lyrique, comme l’indique Christian Schirm, l’actuel directeur, est de « mettre en œuvre un programme d’insertion professionnelle et d’accompagner les premiers pas sur scène de ces jeunes artistes qui, demain, prendront avec assurance et talent la relève de leurs aînés. » Si j’en juge par le dernier concert (soirée annuelle à Garnier, avec l’orchestre de la maison), où les compositeurs opportunément convoqués n’étaient autres que Mozart et Rossini, le talent, la maîtrise vocale, la compréhension d’un style étaient réunis. Sans les ficelles qu’utilisent parfois des aînés inusables qui, le temps d’un air de bravoure, font illusion

Quel bonheur d’entendre des voix jeunes, fraîches, assurées néanmoins, capables de dominer les acrobaties du bel canto ! Défi relevé en tout cas par la Russe Olga Seliverstova dans l’air de Donna Anna « Crudele ! – Non mi dir », par la Française Elodie Hache dans un air de Semiramide, par la Roumaine Andrea Soare, Fiordiligi rayonnante. À citer aussi  la soprano Armelle Khourdoïan, la mezzo-soprano Anna Pennisi, le baryton Pieto di Bianco (dans l’air de Leporello, un régal !), la basse Andriy Gnatiuk. Pardon pour les oubliés, aucun n’a démérité et, réunis en sextuor pour Don Juan et Semiramis, ils nous ont rappelé, au-delà du don de chacun, les vertus du travail, colossal, tous les chanteurs vous le diront !
Les Messiaen de 2008
Question : dans cette école moderne, s’intéresse-t-on à la musique dite moderne ? Ce fut sans la moindre hésitation et avec une magnifique exigence que les jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique ont répondu à mon invitation et participé en 2008 à la célébration Messiaen au Théâtre de l’Athénée : Chants de Terre et de Ciel, les Poèmes pour mi et les redoutables Harawi dont Isabelle Cals, aujourd’hui sur une belle trajectoire internationale, fut la très talentueuse interprète.

Andrea Soare, Anna Pennisi et Andriy Gnatiuk dans le sublime trio de Cosi fan tutte « Soave sia il vento » – Ph. Mirco Magliocca (Opéra National de Paris)

Andrea Soare, Anna Pennisi et Andriy Gnatiuk dans le sublime trio de “Cosi fan tutte” “Soave sia il vento” – Ph. Mirco Magliocca (Opéra National de Paris)

« Oubliez qui je suis ! »
À l’équation don + travail, j’ajouterai, en la matière, culture et réflexion, et permanente remise en question. C’est la morale de Janine Reiss, déjà citée, dont Dominique Fournier relate, avec force anecdotes, le parcours exemplaire dans un petit livre que viennent de publier les éditions Actes Sud. Pianiste et claveciniste, élève des deux grands professeurs que furent Lazare Lévy et Yves Nat, Janine Reiss est « chef de chant » (« coach », si vous préférez), titre récusé par l’intéressée : « Un chef, c’est quelqu’un qui dirige […] En Italie, les personnes qui font travailler les chanteurs sont appelées « maestro di canto », cela me paraît plus approprié. » Une maîtresse donc qui, en l’occurrence, a fait la leçon à des élèves prestigieux, de Teresa Berganza à Placido Domingo, de Jessye Norman à Renée Fleming, de Régine Crespin (« Je ne peux absolument pas me passer d’elle. Elle est pour moi à la fois une sœur et un directeur de conscience », c’est la diva qui parle) à Maria Callas dont elle sut prendre en compte les (souvent pathétiques) états d’âme. Callas qui lui disait : « Oubliez qui je suis, je ne veux pas que ce soit une séance de compliments. Si je viens vers vous, c’est pour connaître ce que vous pensez réellement ; c’est pour travailler ».

livre Janine Reiss
« Ecoute, ma Denise… »
Il y a les contraintes de la voix, et le style, le respect des auteurs et, particulièrement pour le répertoire français (Carmen, Pelléas) l’intelligibilité d’un texte souvent maltraité par les plus belles voix du monde ; c’est ce qu’enseigna, par exemple, Janine Reiss aux prestigieux interprètes que Boulez à Covent Garden, puis Karajan avaient réunis pour l’opéra de Debussy. Autre morceau de choix : les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. Souvenir d’une visite de Francis Poulenc avec sa chanteuse chérie Denise Duval chez notre « maestro di canto » : « Il ne disait presque rien. Il écoutait. De temps à autre, Denise lui faisait une remarque : « Poupoule, ce passage est écrit beaucoup trop haut, comment veux-tu que l’on comprenne le texte. » Poulenc lui répondait placidement : « Ecoute, ma Denise, ne t’inquiète pas, je vais te baisser cela d’une tierce. Vous permettez, Janine… » Alors, il se mettait à ma place au piano, prenait un crayon et réécrivait le passage incriminé ».
Ne pas taguer les œuvres !
D’autres partenaires auxquels Janine Reiss a permis d’éviter des erreurs fatales : chefs tels Seiji Ozawa (« Janine, si vous sentez que l’orchestre joue trop fort, tapez-moi sur l’épaule »), Georges Prêtre, Colin Davis (Les Troyens !), Simon Rattle, Lorin Maazel ; directeurs de festivals tels Peter Diamand à Edimbourg, Gabriel Dussurget à Aix-en-Provence — et à l’opéra de Paris, Rolf Liebermann et Hugues Gall ; metteurs en scène tels Joseph Losey (Un Don Juan historique pour le cinéma), Giorgio Strehler, Patrice Chéreau, Peter Sellars. Exigence sur le sujet : « Les grands metteurs en scène savent se renouveler sans pour autant taguer les œuvres ». C’est dit.

En femme sensible, Janine Reiss dit aussi : « La beauté d’une voix est indéfinissable, comme la beauté des yeux ».

 

Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de février : « Ce jour-là : 24 février 1607, la création de l’Orfeo »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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