Les Percussions de Strasbourg – Ernest Bour et Charles Bruck – Une lettre de Pierre Boulez – Edgar Varèse et Olivier Messiaen – Sylvio Gualda et Iannis Xenakis – Le vice caché d’Isaac Stern

« Percuter, puis laisser résonner », c’est le titre, très imagé, de la Journée que le CDMC (Centre de documentation de musique contemporaine) consacre cette semaine à la percussion. Avec un anniversaire à la clé : les cinquante ans des Percussions de Strasbourg.

Une belle carrière pour des musiciens qui, à travers vents et marées (et, à certaines époques, les vents ont soufflé fort à l’intérieur même du groupe !), ont résisté pendant un demi-siècle. Les hommes ont changé – de la première époque, je me souviens de Jean Batigne, Georges Ricou, Georges van Gucht qui officiaient alors dans les formations instrumentales strasbourgeoises : l’Orchestre municipal et l’Orchestre de la radio (au temps où notre radio publique essaimait en région), sous la direction respective de deux ardents défenseurs de la création contemporaine : Ernest Bour et Charles Bruck. Le matériel (peaux, bois, métaux et accessoires divers) s’est diversifié, comptant aujourd’hui, selon les informations auxquelles j’ai pu me référer, de quatre cents à sept cents instruments différents dont certains venant de mondes lointains. Inutile de dire qu’engager Les Percussions de Strasbourg à l’autre bout de la France n’est pas une mince affaire…

Dans la caverne d’Ali-Baba
Quant au répertoire, il s’est fantastiquement élargi, avec des bonheurs divers. Certes, la nouveauté et la diversité des sonorités, l’impressionnante virtuosité des interprètes ont stimulé le zèle des compositeurs ; mais que choisir dans la caverne d’Ali-Baba, et quel Sésame donne la recette aux apprentis sorciers ? Donc, ceux qui s’y sont frottés sont nombreux ; plus rares sont ceux qui, au-delà du gadget, et du spectacle visuellement captivant, ont bâti un univers personnel, cohérent. Mais l’aventure tient néanmoins la route : le groupe des Percussions de Strasbourg affiche, sur la durée, plus de 1.600 concerts donnés dans 70 pays…

J’ai eu la chance de vivre le début de cette aventure. En effet, je retrouve dans mes archives une lettre de Pierre Boulez datée du 6 janvier 1963 qui me parle de ses « amis de Strasbourg », lesquels, par son intermédiaire, me demandent de rédiger un texte de présentation pour leur « prospectus »… L’ensemble s’appelait alors « Groupe instrumental à percussions de Strasbourg », et l’une des premières pièces de leur répertoire fut un document historique : Ionisation, l’œuvre qu’Edgar Varèse avait composée quelque trente ans auparavant pour trente-cinq instruments à percussion et treize instrumentistes — que les strasbourgeois, avec l’autorisation de l’auteur et grâce à leur habileté, jouèrent, sans dégât, à six !

Edgar Varèse (1883-1965) – Toujours pionnier…

« La piscine »
Plus tard, beaucoup plus tard, Pierre Boulez, dans ses fonctions ircamiennes, et Jean Maheu, président du Centre Georges Pompidou, me demandèrent d’imaginer une manifestation susceptible d’occuper, pendant huit semaines, le rez-de-chaussée du Centre et, notamment, cette bizarre cavité à ciel ouvert, qui n’existe plus que dans nos souvenirs et que nous avions baptisée « la piscine ». Lieu idéal pour la percussion dont le volume sonore pouvait occuper tout l’espace, bien au-delà des sièges des auditeurs (payants). Nous avions choisi un thème par semaine, dont l’un avait été offert, bien naturellement, aux Percussions de Strasbourg ; et grâce à un mécénat particulièrement généreux, nous avions invité aussi plusieurs groupes étrangers, dont un magnifique gamelan de Bali. La manifestation avait également bénéficié d’une belle communication et, en particulier, d’un numéro spécial du journal Le Monde, pour lequel j’avais demandé à Boulez quelques considérations sous forme d’interview. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand je pris connaissance des propos de Boulez lequel, avec la liberté de ton et la franchise qu’on lui connaît, affichait, entre les lignes, toutes ses réticences à l’égard de cet univers percutant, trop souvent « cache-misère » pour des compositeurs en mal d’innovation. Initiateur critique, en quelque sorte.

Gongs et cloches-tubes
Ce qui est vrai, hormis quelques brillantes exceptions, surtout pour les œuvres dont la seule percussion est le camp retranché. En revanche, rien n’interdit d’associer la percussion à d’autres ensembles instrumentaux et nos compositeurs ne s’en sont pas privés, à commencer par Pierre Boulez qui, malgré quelque velléité, ne composa pas la partition (intitulée Marges), toujours à l’état d’esquisses, dont la perspective avait fait rêver Les Percussions de Strasbourg… Et Messiaen qui, contrairement à son disciple préféré, n’aimait pas abandonner des chantiers en cours : il s’intéressa vivement aux percussions résonnantes et aux claviers qui, dans Saint François par exemple, participent au délire ornithologique. « C’est pour eux que j’ai composé la plupart de mes œuvres (pour percussion)  parce qu’ils sont admirables et qu’ils jouent des instruments aux résonances merveilleuses ». Cloche-tubes, gongs, tam-tams, etc.

Et toujours sur le même registre, je n’aurai garde d’oublier mon héros : le percussionniste Sylvio Gualda, formidable professeur lorsque ses fonctions de timbalier à l’Opéra de Paris lui en laissait le temps.

Dans la cour du Conservatoire Darius Milhaud, lieu stratégique.

Les sixxens
Le voici (ci-dessus) au Centre Acanthes, (Aix-en-Provence, 1978), face à Xenakis (de dos), dirigeant nos stagiaires percussionnistes, lesquel(le)s constituèrent bientôt l’Ensemble féminin des Pléïades. Quant à Xenakis, il fut incontournable dans le domaine de la percussion : Psappa, Persephassa, Pléïades (avec l’explosion des 109 sons métalliques des « sixxen », construits sur mesure), Rebonds… Que des morceaux d’anthologie ! Un grand souvenir : nos six jeunes, énergiques et jolies percussionnistes, en 1985, dans le fameux Stade de Delphes.

Enfin, je ne résiste pas au plaisir d’extraire de mes archives cette photo où je présente Les Percussions de Strasbourg sur la (petite) scène du (petit) théâtre de Divonne-les-Bains dans le cadre d’un festival aujourd’hui disparu. Mais en cette année 1967, le programme, précieusement conservé, m’indique que nous avions entendu, au cours de la même semaine, Arthur Rubinstein, Isaac Stern, Maurice Gendron, le Deller Consort, David Oïstrakh — et Michel Béroff, récent lauréat du premier Concours Olivier Messiaen, et Les Percussions de Strasbourg, encore nommées « Groupe instrumental à percussions ».

Gongs, xylos  et timbales : en attendant l’heure de la roulette !

Place au clip !
Le casino de Divonne, grâce aux riches voisins Helvètes, assumait les frais. Les entractes des concerts étaient particulièrement longs pour permettre aux mélomanes de tester leurs chances, ce que fit, dit-on, Isaac Stern à la fin de sa prestation, et la roulette engloutit rapidement tout son cachet. Il semble qu’un autre festival a succédé, depuis quelques années, à ces belles soirées musicales. Le Festival du clip !

Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de novembre : « Ce jour-là : 8 janvier 1687 »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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