Des quatre-vingts quatuors de Haydn au nouveau Quatuor de Philippe Manoury – La technologie de l’Ircam – Les Diotima au coeur de l’aventure – Tout savoir sur Mozart, Liszt, Mahler et les autres

Le quatuor à cordes est tout de même la seule forme musicale qui a traversé allègrement deux siècles et demi de musique occidentale ; la seule forme, en tout cas, qui s’accorde également au classicisme et à notre modernité. Il fut un temps où les compositeurs y prenaient tant de plaisir qu’en fin de compte ils allongeaient régulièrement la série. Haydn, le père du genre, a composé plus de quatre-vingts quatuors, Mozart vingt-trois, et Beethoven dix-sept – dix-huit avec la Grande Fugue. Les modernes ont été moins prolixes, un seul pour Debussy, de même pour Ravel, l’un et l’autre péchés de jeunesse ; puis, sinon, à l’exception notoire d’Olivier Messiaen, la plupart s’y sont frottés :  dix-huit quatuors (parce qu’il ne voulait pas faire mieux que Beethoven) pour Milhaud, six pour la fameuse série bartokienne, quinze chez Chostakovitch… De Boulez, nous n’avons que le Livre pour quatuor de 1948, mais avec versions successives. Henri Dutilleux, pour sa part, a attendu  son soixantième anniversaire pour nous offrir son premier et unique quatuor, lequel se nomme Ainsi la nuit.

Deux années de travail

Les nouvelles technologies n’ont pas entamé le zèle de nos créateurs, l’Ircam, avec ses ingénieurs et ses machines, pimentant le discours. Et, vendredi dernier, dans l’Espace de projection de l’Ircam, Philippe Manoury nous en a apporté une nouvelle preuve, avec une partition largement développée (près de quarante minutes) intitulée Tensio – une « tension, dit-il, d’ordre physique ». Il suffit de lire la très longue notice publiée dans le programme, pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une bluette mais d’une pièce longuement méditée (« deux années de travail », m’a confié le compositeur), formidablement structurée, complètement contrôlée dans la transformation permanente des sons instrumentaux. Bref, une œuvre dense dont on ne fait pas le tour à une première audition, une oeuvre qui devrait faire date tant dans la production de Philippe Manoury que dans l’exploration par l’Ircam de nouveaux territoires.

Philippe Manoury, « compositeur invité », Acanthes, 2004 (Ph. Claude Samuel)

Enfin, les machines étant ce qu’elles sont, les instrumentistes demeurent cependant au cœur de l’aventure. Ici, le Quatuor Diotima, fondé en 1996, qui, toujours jeune, s’impose aujourd’hui comme l’une des références dans le champ de la création. Je serais ingrat si, en ce domaine, je n’évoquais pas le Quatuor Arditti, auquel me lient tant de souvenirs et tant de belles équipées (et, plus loin encore, le Quatuor Parrenin…). Mais il est clair qu’avec les Diotima, la relève est magnifiquement assumée. D’ailleurs, ne font-ils pas déjà le tour du monde ?

Quatuor Diotima, Acanthes, 2010 (Ph. Claude Samuel)

Pour les derniers cadeaux…

Question que l’on me pose souvent : quel livre faut-il lire pour connaître/comprendre la musique classique ? Le « Vuillermoz » a été, dans un temps lointain, très lointain, mon livre de chevet, dont le conservatisme ne me gênait apparemment pas. Ne cherchez pas le « Vuillermoz » actuel. S’il existe, il est inutile : on ne résume pas notre histoire de la musique en trois cents pages, en excluant naturellement toutes les musiques qui n’appartiennent pas à notre tradition. Il faut donc se résigner : lire, oui, mais différents ouvrages choisis en fonction de ses affinités. Pour les lire, ou pour les offrir, bonne opportunité, pour les cadeaux de Noël.

Les classiques d’abord :

– le Mozart de Brigitte et Jean Massin (Ed. Fayard) ; non moins classique, le « Mozart » d’Alfred Einstein dont l’index est un modèle du genre. Trouver n’importe quel Köchel en un clin d’œil ! (publié par Desclée de Brouwer en 1954, disponible actuellement chez Gallimard).

– le superbe Franz Liszt en deux volumes du musicologue américain Alan Walker. Se lit comme un roman, et s’impose cinq jours avant l’année du bicentenaire ! (Ed. Fayard)

– Le Gustav Mahler d’Henry-Louis de La Grange, la plus compète des biographies, toutes catégories !(trois volumes, Ed. Fayard). Et mieux encore, du même auteur mais en anglais : A New Life Cut Short (1907-1911), 1758 pages pour évoquer les cinq dernières années de la vie du Maître (Ed. Oxford).

Colossal !

– Cadeau non moins luxueux : les sept tomes (8 volumes) du Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie d’Olivier Messiaen (Ed. Alphonse Leduc).

– Colossal également, à la hauteur de son génie : les huit volumes de la Correspondance générale de Berlioz (Flammarion), ou les six volumes déjà publiés de la Critique musicale du même. Imbattable dans la section des polémistes!

– Non moins percutante, la Correspondance de Claude Debussy, réunie et annotée par François Lesure (Ed. Gallimard) ; et très savoureuse, la Correspondance de Francis Poulenc, éclairée par les commentaires de Myriam Chymènes (Ed. Fayard).

– Enfin, à petits prix et très précieux néanmoins, le Beethoven d’André Boucourechliev ou le Schubert de Marcel Schneider dans la collection Solfèges (Ed du Seuil).

De Chabrier à Nono

Pour la curiosité :

– La Correspondance d’Emmanuel Chabrier (Ed. Klincksieck).

– Les quatre volumes du Journal de Cosima Wager, où l’on apprend chaque jour la qualité de sommeil du héros, et les dernières vilenies des méchants Juifs (Ed. Gallimard).

La Correspondance (presque complète) d’Erik Satie décortiquée par l’incontournable Ornella Volta (Ed. Fayard).

– Les Ecrits de Luigi Nono, 717 pages présentées par Laurent Feneyrou (Ed. Contrechamps).

– Et la Vie de Rossini par Stendhal – deux (petits) volumes dans Les Introuvables; encore faut-il pouvoir les trouver… (Ed. d’aujourd’hui).

Cherchez les Muses !

Je me tiens à la disposition de mes fidèles blogueurs pour leur indiquer d’autres références ; et leur conseille dès maintenant de consulter le site du Prix des Muses, qui distingue chaque année une petite dizaine de livres à ne pas manquer.

Retrouvez la chronique de Claude Samuel dans la revue Diapason de décembre: « Ce jour-là : 27 mars 2007 »

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Claude Samuel

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Les commentaires de Claude Samuel sur l'actualité musicale et culturelle, étayés de souvenirs personnels.

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