Les Mousquetaires au Couvent à l’Opéra-Comique

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Franck Leguérinel (Bridaine). DR Pierre Grosbois

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Franck Leguérinel (Bridaine) & Les Cris de Paris (DR Pierre Grosbois / Opéra-Comique)

Jérôme Deschamps réussit sa sortie de l’Opéra-Comique. Sa mise en scène a beaucoup fait rire, lui-même sous la défroque d’un très burlesque Gouverneur a reçu l’ovation que mérite une vis comica qui ne se prive pas d’en rajouter. Une salle comble (il devait faire bien chaud tout là-haut aux galeries) s’est retirée comblée, et comme navrée d’avance que doive être fermé pour un an cet Opéra-Comique où des habitudes s’étaient prises, confortables, bon enfant. Retrouvera-t-il cela, Deschamps parti ? Est-ce seulement concevable ?

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Jérôme Deschamps (Le Gouverneur) & Les Cris de Paris (DR Pierre Grosbois / Opéra-Comique)

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Jérôme Deschamps (Le Gouverneur) & Les Cris de Paris (DR Pierre Grosbois / Opéra-Comique)

On ne dira pas que ces Mousquetaires au Couvent ont retrouvé l’esprit de l’opérette, son style, ses façons de drôlerie et de vocalité, tels qu’ils existaient encore lors de leur création en 1880, quand le rythme Offenbach, la légèreté de touche (ces pieds légers, dont Nietzsche dit qu’ils sont le signe du divin) Offenbach, la faconde mélodique Offenbach bruissaient encore dans toutes les oreilles parisiennes. Mais tout le monde n’est pas Offenbach et même, osons le dire, plus personne, lui parti, ne l’a été. Cet accord entre les thèmes traités, le style chanté, l’esprit du public, cette connivence supérieure, une facilité que tout le monde a en commun, cela s’est produit avec Offenbach et le Second Empire. Inutiles regrets. Offenbach avait en toutes choses (musicales et autres) un goût d’abord, un tact supérieurs. Ce goût et ce tact lui permettaient l’irrévérence, qui demande du style. Le sujet, simple pantalonnade, à l’irrévérence appuyée, dont Louis Varney a fait la seule œuvre qui subsiste un peu de lui, Offenbach n’en aurait simplement pas voulu. Il n’offre pas de péripétie, rien de spectaculaire ni même théâtral, qui stimule un rythme, apporte du nerf. Des effets de costume et de geste (ou gesticulation) sont tout ce qu’on y trouve de scénique, que la mise en scène viendra souligner, surcharger, comme si faire rire par endroits et pour un effet donné équivalait à une action, nous mettait en face de personnages. Silhouettes ici, découpées dans du carton colorié, et dont on n’aura pas de mal à faire des caricatures. Avec cela, Varney a, musicalement, de la facture. Pas une romance, pas un contour mélodique qui soit mémorable, et qu’on retienne par sympathie, ou qu’on ait envie de réentendre, mais des ensembles subtils et même sophistiqués, remarquablement équilibrés (ce qui est une vertu dramatique de premier ordre), un coloris instrumental souvent flatteur, qui ressort extrêmement dans les moments que la mise en scène laisse immobiles, et en quelque sorte intérieurs. Ce n’est pas un si mince bilan, d’autant que Laurent Campellone a l’extrême bon goût de laisser à de tels moments leur transparence et leur murmure, où l’Orchestre de Toulon montre ses vertus,  tout ce qui est rapide (pour faire « enlevé ») devenant tout de suite un peu agressivement fort, strident, et montrant plutôt ses défauts.

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Sébastien Guèze (Gontran de Solanges) & Marc Canturro (Narcisse de Brissac). DR Pierre Grosbois

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Sébastien Guèze (Gontran de Solanges) & Marc Canturri (Narcisse de Brissac). DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Dans l’assez éprouvant second acte (chez les nonnes ou apprenties nonnes), bien lourdingue pantalonnade, les deux moments de grâce auront été la délicieuse (mais non mémorable) romance de Marie, joliment soupirée par Anne-Marine Suire, et l’irrésistible pas de deux  acrobatique à rideau fermé de MM Guèze et Canturri, où ils ne chantent pas, et qu’ils dansent comme a capella, et hors brouhaha. L’un et l’autre physiquement très à l’aise, nos deux Mousquetaires sont bien différents : Sébastien Guèze (Gontran de Solanges) en débat perpétuel avec son émission, alternant le brutal et l’exquis, et Marc Canturri (Brissac) gâtant son excellent baryton naturel par des incursions hasardeuses dans l’aigu, gâtant aussi une liberté scénique non moins excellente par une gesticulation qui finit par déteindre sur son chant. Compliments à tous les deux, exquis aussi dans leurs duos de faux moines pèlerins.

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Anne-Marie Suire (Marie) / DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Anne-Marie Suire (Marie) / DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Le plus typique d’une opérette à la française dans ces Mousquetaires est dans cette façon de mêler deux sujets, ou deux folklores, et de mettre du paysan (qui voudrait être patoisant) dans un décor et une action à la d’Artagnan, ou du moins Pardailhan. D’excellentes voix solistes animent en bouquet les premières scènes, issues de l’Académie de l’Opéra-Comique, pépinière de jolies jeunes voix. Bravo. Et à Anne-Catherine Gillet encore plus, inattendue en Simone, qui dans l’intrigue n’est qu’un hors-d’œuvre, mais délicieux, avec des airs brillants, exposés, qui font d’elle la reine lyrique de la soirée. Franck Leguérinel détaille avec adresse le périlleux air d’entrée de Bridaine, que la mise en scène caricature sans vergogne. Mais pas autant que le Gouverneur, où Deschamps s’en donne à cœur joie, et surtout Nicole Monestier, qui chante la Mère Supérieure comme elle peut (comme elle sait), comme si elle voulait que son ramage soit à hauteur de son plumage,  extravagante pièce montée qui lui sert de cornette, sous laquelle elle apparaît avatar tantôt de la nymphe Platée tantôt d’un Comte Ory qui fait le moine. Les pieds (et pieds de nez) se veulent légers, certes, et l’humeur aussi. Mais dans quels sabots ! Il y a quelque chose de saoulant dans cette façon de forcer le rire.

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Nicole Monestier (La Mère Supérieure). DR Pierre Grosbois (L'Opéra-Comique)

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Nicole Monestier (La Mère Supérieure). DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

Mais,  l’a-t-on assez marqué, les quelques moments où la musique, le rêve, le chant, des pieds naturellement légers ont été laissés à eux-mêmes, ceux-là suffisent, c’est eux qu’on a pu choisir d’emporter avec soi en remontant la chère vieille rue Favart…

 

"Les Mousquetaires au couvent" d'Offenbach. Jérôme Deschamps (Le Gouverneur) / DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

“Les Mousquetaires au couvent” de Louis Varney. Jérôme Deschamps (Le Gouverneur) / DR Pierre Grosbois (Opéra-Comique)

 

Opéra-Comique le 15 juin 2015

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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