8° & 6° Symphonies de Beethoven à l’Opéra-Bastille

 

Concert du 18 mai 2015 à l'Opéra-Bastille

Concert du 18 mai 2015 à l’Opéra-Bastille

On était présent en septembre dernier au lancement de l’intégrale des Symphonies de Beethoven entreprise par l’Orchestre de l’Opéra avec Philippe Jordan. C’était à Garnier, avec les 2e et 7e et, dans cette dernière, l’évidence d’un fini instrumental, individuel et collectif, qui promettait une superbe croisière ! Depuis, la formation s’était repliée dans le cadre, tout autre, de Bastille. On l’y a retrouvée pour une soirée couplant la merveilleuse 8e, si peu jouée, si laissée dans son coin, entre ces deux monuments (ou monstres) que sont la 7e et la 9e, et l’autrement populaire 6e, dite Pastorale. Quelle différence de perspective, de masse (ou fondu) aussi ! Sur pratiquement toute la largeur du plateau de Bastille (et Dieu sait qu’il est large) l’orchestre s’étire ; assez en retrait d’ailleurs, séparé du public par toute la largeur de la fosse d’orchestre, recouverte ; un effet de distance en tout cas, peut-être aussi de distanciation (voulue) en résulte, que renforce cet étirement de la masse orchestrale, qui en sonnera d’autant allégée, et comme radiographiée dans sa propre transparence. Cela ne va pas sans quelque sécheresse qui en vient aux cordes, mais dans une qualité de son si sobre et épurée, pour ne pas dire ascétique, qu’une évidence s’impose. La musique de Beethoven va ici simplement nous être présentée, donnée, sans maquillage ni coloriage rajouté, dans la pureté (même parfois un rien acide, ou amère) de sa forme ; sans nulle sentimentalité ; mais avec une fraicheur de coloris franc et une évidence calme de la structure qui font ressortir la place singulière de cette symphonie, qui semble faire exprès de se montrer ordinaire, ne faisant qu’accomplir son programme de symphonie en quatre mouvements, avec ce qu’il y faut de contrastes et de reliefs divers.

 

Concert du 18 mai 2015 à l'Opéra-Bastille

Concert du 18 mai 2015 à l’Opéra-Bastille

C’est donc Beethoven, et le Beethoven de la plus grande maturité, qui est là, à son exercice, ne faisant pas valoir son génie, mais son souverain savoir-faire ; il en résulte un caractère objectif, définitif et, paradoxalement, monumental. C’est tout l’esprit de la symphonie classique, classiquement viennoise, qui développe ici et résume sa propre histoire, l’esprit même de Haydn et sa souveraine facture, qu’éclaire discrètement, mais avec son unique merveilleux effet de sensibilité et de sourire, l’ombre d’un Schubert encore à venir. N’est-ce pas d’ailleurs Bruckner lui-même, encore bien dans les limbes, mais bien identifiable, qui va surgir dans ce stupéfiant Trio où deux cors d’abord, puis une clarinette aussi, font souffler un air d’une tonicité et d’une tenue sonore qui ouvrent d’autres climats ?

 

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Concert du 18 mai 2015 à l’Opéra-Bastille

Merveilleuse Pastorale ! Comment faire pour ne pas l’adorer quand même, en dépit de la façon un peu ostensible qu’elle se donne de n’être pas ordinaire ? Toute une partie de ce qu’elle raconte ou récite nous semble n’être fait que du souvenir de nos lointaines premières écoutes — comme l’enfance de la musique en nous. Il est très merveilleux que ce soir on n’ait pas cherché à illustrer davantage ce qui, ici, se laisserait à la rigueur imager ; qu’on n’y ait mis aucun sentiment (sentimentalité) de plus. Interpréter, ce soir, n’aura pas consisté à installer un climat inédit, à surimprimer à Beethoven sa propre signature, ses propres états d’âme, ou ceux qu’on lui prête. Ce n’aura été que lui laisser la parole, c’est-à-dire la conduite du texte, tel qu’il est, littéral, mais dans le souverain raffinement d’une exécution où la moindre voix compte, le moindre chant d’oiseau, le moindre effet de rythme (ou simple froncement dans le tissu sonore) : rendre à Beethoven l’hommage de le jouer humblement, fièrement, tel qu’il est. Une exécution si virtuose impose ses valeurs d’étagement et de perspective. L’étonnante scène dite au bord du ruisseau nous montre en premier plan la profondeur du ruisseau, sa texture plus opaque ou sombre, et comme en retrait seulement le magique effet de miroitement qu’en produit la surface bruissante. Quelle mise en scène du coup, mais purement sonore ! Quelle vue d’ensemble, toujours prioritaire ! On en trouverait presque trop voyantes les interventions (pourtant voulues telles par Beethoven) des instruments/oiseaux, et la flûte d’abord. C’est admirable, prodigieusement exécuté, pourtant ce solo fera l’effet d’un solécisme, comme s’il niait le paysage auquel il appartient. C’est la paradoxale rançon d’une même perspective orchestrale magistralement établie et de bout en bout tenue. L’Orage y apportera l’irruption d’une sonorité d’un autre format, qui semble d’une autre texture, plus creuse, plus grondante, sans cesser d’appartenir à ce même paysage. Même ensuite l’ineffable clarinette du (supposé) Pâtre, solo s’il en est, et ineffable, appartient encore à l’ensemble qu’elle illumine. Et quel sublime crépuscule pour finir, et presque silence !

 

Le 17 juin, la IXe et d’abord la très admirable (et si rare) Fantaisie Chorale concluront en beauté ce splendide parcours.

 

Opéra-Bastille, le 18 mai 2015

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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