Une première recette pour réussir Tristan ? Se le dire d’abord : c’est l’œuvre la plus difficile à suivre du monde, avec ses lenteurs, ses redites et ses étirements, la plus envoûtante aussi. Facile d’y perdre pied (ou le fil). La proximité aide. Des personnages à taille humaine, palpables, dont la présence nous oblige à visualiser, à incarner des êtres de raison (ou de fiction) qui pourraient rester de simples emblèmes. Le Capitole de Toulouse a le double atout d’un orchestre de premier ordre et qui sait son Wagner depuis le temps où Cluytens y dirigeait Martha Mödl et autres géants ; et d’une dimension à taille humaine qui s’assortit, ce qui est encore mieux, d’une acoustique idéale, ce qui n’est pas le cas d’autres théâtres à l’italienne. Le Capitole reprend un Tristan vieux de huit ans, et qui a bien vieilli. Nicolas Joel à la régie y faisait simple : allusif mais palpable. Ces grandes présences-là, sur ce pont de bateau qui oscille (superbe sensation de mer, qui vaut tous les trop faciles effets des vidéastes), n’ont pas de mal à porter le drame et les tensions, à défaut d’action qui dans Tristan n’existe guère. À la fois des présences, et des solitudes, comme nous le font éprouver Isolde au début du I et Tristan tout au long du III. La dramaturgie moderne n’en demande pas plus.
Si pourtant ! Des interprètes de format. Ils sont là ce soir. On redoutait Elisabete Matos, horriblement gênée (et gênante) naguère dans Le Roi Arthus. L’allemand d’Isolde ne lui est pas obstacle. Texte senti et projeté, avec le respect des plus longues phrases de remémoration du I, où s’entendent le legato et la sensibilité ; voix d’un bronze non sans luminosité, rappelant (à l’étage un peu au-dessous quand même) Varnay par l’ampleur et Grob-Prandl par le perçant, terme qui ici n’a rien d’injurieux. Du vrai chant dramatique soutenu, qui se tirera des longueurs (non amputées) du II. Il s’effondrera quelque peu en fin d’endurance : sûrement la prochaine Liebestod sera royale.
Robert Dean Smith donne aujourd’hui un Tristan aussi bien chanté, aussi bien tenu qu’on peut en rêver un. Jamais moins que satisfaisant, il réussira dans les extrémismes du III des prouesses d’engagement qui le mettent désormais très au-dessus de son Wagner précédent. Marke, Hans-Peter König, est une tour de solidité et de simplicité, ce qui se fait rare chez les basses. Quant à la Brangäne de Daniela Sindram, tout sauf nounou, mais copine, complice, à 100% humaine, elle est une des plus complètes (par le personnage, le timbre, la présence) depuis les inoubliables Minton et Fassbänder (celle-ci y prenant des risques !!).
Passé un quiproquo dès le Prélude qui a fait passer un frisson dans les oreilles aiguisées, Claus Peter Flor a tiré d’un orchestre, où bien des pupitres se sont renouvelés depuis huit ans, une sonorité d’ensemble qu’à peine trois ou quatre orchestres en France sont capables de donner, et de tenir, dans Wagner. Ce n’était qu’une reprise. Mais la santé d’un théâtre lyrique est dans sa capacité de se donner des reprises aussi satisfaisantes !
Capitole de Toulouse, 28 janvier 2015
Laisser un commentaire
You must be logged in to post a comment.