Blanche-Neige chez Louis XIV

 

La Bartoli nouvelle débarque, c’est pour le 1er et le 7 novembre au Théâtre des Champs-Elysées mais un coup d’envoi a été donné à Versailles, dans la Galerie des Glaces, où Cecilia s’y présentait dans une moitié de son nouveau programme, et sous deux couleurs de robe (d’ailleurs jumelles, même coupe, même perlé, même décolleté puissant) : une blanc glacier, une turquoise nuance pistache (ou l’inverse). Sensationnel dans tous les cas, et la simplicité même. Pour son dernier retour sur l’estrade, Cecilia s’est augmentée d’une chapka digne du plus bel ours blanc, ample manteau pareil. La voilà sacrée impératrice des neiges. C’est à Saint Petersbourg en effet, après les Castrats, la Malibran, la Venise de Vivaldi et le monde enchanteur de Gluck (entre autres) qu’elle est allée puiser le contenu (toujours savant, toujours à la fois idéalement cherché, et pourtant idéalement public) de ce qui va être pour elle le pain quotidien de deux ans de tournée à venir, avec l’inestimable soutien des Barocchisti de Diego Fasolis. Le luxe pour elle est désormais, au lieu de deux disques par an, de n’en plus faire qu’un tous les deux ans, mais qui compte, marque, date : et celui ci, dans sa diversité absolument inédite (il ne présente que des premières mondiales) ira très haut au box-office, même par ses standards à elle.

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Malgré un répertoire neuf, on se dit parfois que ce sera pareil, même chant virtuose, vocalisant, même legato sans coutures, même charme, même pêche inouïe, même contrôle stupéfiant du souffle, même Cecilia au fond, et que cette fois-ci on n’ira pas. Et on a toujours cent fois raison d’y aller. Car la spontanéité est chose devenue si rare, et aussi cette inépuisable générosité, vis-à-vis de ses partenaires, vis-à-vis de nous qui nous sommes déplacés ; c’est comme un bain (pour nous) à la fois de soleil et de jouvence. Ce plaisir de chanter ne fait qu’un avec le plaisir de donner, de partager. Comment manquer cela ?

On ira donc retrouver Cecilia tsarine, son dévorant plaisir d’être là, et de ne faire qu’une bouchée de notre attente. Car les tsarines, si elles ont manié le knout, ont aussi beaucoup fait venir chez elles artistes et penseurs pour occidentaliser la culture russe, figée entre steppes silencieuses et bulbes de cuivre des églises. Et cela a roucoulé et vocalisé à St Petersbourg et Moscou, du Porpora et du Cimarosa, du Raupach et de l’Araia, comme si on était à Venise, Vienne ou Versailles, et souvent par les gosiers des mêmes oiseaux eux aussi importés. Des oiseaux acolytes, Cecilia s’en est trouvé Galerie des Glaces dans la flûte et le hautbois miraculeux de ses partenaires solistes des Barocchisti, qu’elle associe à l’instant même aux bravos qui montent vers elle. On aurait dit dans Pastor che a notte ombrosa d’Araia qu’elle convoquait tout un essaim d’oiseaux babillards pour s’envoler avec, et nous faire décoller du sol Féerique. Par le chant comme par les mines. Sous sa chapka et dans ce blanc manteau de fausse hermine, Cecilia croyait peut être faire davantage tsarine ? Méchante Reine ? Allons donc. C’était Blanche Neige parmi nous. Et nous tous, nous irions derrière elle chantant, comme sept bienheureux nains.

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Château de Versailles, le 6 octobre 2014

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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