La Vestale au Théâtre des Champs-Elysées

La Vestale de Gaspare Spontini a été lors de sa création en 1807 un des prestigieux succès de l’Académie Impériale de Musique. Napoléon, dit-on, la goûtait fort. Les faisceaux romains, les défilés, la pompe et les ballets devaient aller à son propre goût de la grandeur romaine victorieuse et laurée. Dans ce contexte la Vestale éponyme, la glorieuse Mme Branchu (assez épaisse, si l’on en croit les gravures ; un rien hommasse) passait au second plan, derrière le décor. L’Italie eut longtemps de quoi chanter La Vestale, en italien. La dernière fut, jusqu’après 1914, la glorieuse Ester Mazzoleni qui en donna l’unique représentation parisienne du XXe siècle en 1909, à l’Opéra, avec la Scala de Milan invitée. Si La Vestale connut ensuite le regain de célébrité (sinon popularité, ou même vie) que, chez Spontini, Agnès de Hohenstaufen mériterait sans doute davantage, c’est à cause du Metropolitan de New York. Celui-ci était très désireux de remonter Norma qu’on n’avait pas su comment distribuer depuis le départ de Lilli Lehmann, qui y avait laissé une impression définitive. Rosa Ponselle était au milieu des années 20 une candidate possible. Mais aurait-elle la noblesse, la projection dramatique, la tenue ? Notons que les qualités que demande le rôle de Norma ne sont en rien comparables, par l’endurance d’abord, sans compter le style orné, entièrement exclu du rôle de Julia, qui est très dans la lignée sculpturale de Gluck : une prêtresse, comme Iphigénie (et comme certes sera Norma), mais d’abord un ton, une hauteur. On le répète, une tenue, et la tenue (la tension dramatique) de voix qui va avec ; le marbre qui s’anime, comme chez Gluck. On monta donc la Vestale pour Ponselle. Elle y fut sublime, comme l’attestent deux airs ou fragments d’air (en italien évidemment), qui eurent l’honneur d’être les tout premiers 78 tours repris en série de luxe historique quand le 78 tours mourait de sa mort glorieuse. Triomphe. Norma suivit donc, au Met, il n’y avait qu’à reprendre tels quels autour de Ponselle (et l’indispensable Serafin) les mêmes Lauri-Volpi, Pinza et Marion Telva.  Quand Callas reprit La Vestale à la Scala, avec et en un sens pour Visconti et son goût sévère (qui, certes, n’allait pas aux pompes et défilés), ce fut encore pour la noblesse du ton, l’attitude. Callas y inaugurait, ce n’est pas un hasard, sa nouvelle silhouette. Historique, en un sens assez élitaire, exclusif.

Ermonela Jaho (Julia) et les vestales. © Vincent Pontet

Ermonela Jaho (Julia) et les vestales. © Vincent Pontet (TCE)

Ermonela-Jaho-Vestale © Vincent Pontet

Ermonela-Jaho-Vestale © Vincent Pontet

C’est dire que le TCE dans sa façon de concevoir, choisir et monter La Vestale —et quoique le résultat d’ensemble soit en plus d’un point excellent, et au moins honorable et agréable toujours— a fait tout faux. On avait repéré à Avignon un metteur en scène qui «arpentait» le répertoire, avec des questions autour des Sonnets de Shakespeare, le Platonov de Tchekov. Absolument étranger à l’opéra et à sa culture, à ce qui fait une œuvre où on chante valide ou pas valide à la scène (le vrai b-a-ba du métier), ce metteur en scène a fini par ressentir un «désir» d’opéra ; il a vu dans la trop oubliée Vestale un bon  sujet sur la libération de la femme (Julia rompt ses vœux, va se donner charnellement à un beau guerrier, le feu sacré va s’en éteindre de honte), et il a eu envie de La Vestale. Banco, a répondu le TCE. Et c’est désolant, parce qu’on passe de la sorte à côté d’une très montrable Vestale. Il aurait suffi de donner à Julia la tenue (physique et morale, mais vestimentaire aussi) de son emploi, ne pas la montrer d’emblée midinette en nuisette, dans une version soft de Dortoir des grandes. C’est simplement riquiqui, puéril. Ah les idées, au théâtre lyrique ! Donnez-nous donc des images, messieurs les metteurs en scène, c’est pour ça que vous êtes professionnellement qualifiés, alors que nous autres spectateurs ne saurions pas. Les idées, nous les trouverons bien assez par nous-mêmes, à partir de ces images ! Ainsi chacun, vous, nous, aura eu sa part.

LA VESTALE -

Ermolena Jaho (Julia) et Andrew Richards (Licinius) – © Vincent Pontet (TCE)

Ce que Mr Eric Lacascade nous a montré dès l’Ouverture à rideau levé (détestable mode récente, qui présuppose que la musique ne suffit pas à montrer, ou suggérer, quelque chose : au moins un climat), c’est des gens, alignés en rang d’oignons, et les plus quelconques du monde. Ils vont finir par applaudir la silhouette qu’on voyait déjà en avant d’eux, non moins quelconque : le beau guerrier vainqueur. Non moins banalisées ensuite la Grande Prêtresse, sorte d’institutrice ou nurse revêche, et les vestales, simples donzelles de pensionnat (qui semblent vivre en nuisette). Malheureusement La Vestale n’est pas une œuvre dramatique aux ressorts bien costauds ni aux personnages bien substantiels : et d’autant plus elle a besoin, pour rendre les situations et les passions crédibles, palpables, que les personnages soient ressemblants. Même en simplifiant au maximum cérémonial et défilés, même en supprimant ce qui autrefois constituait l’essence même de la mise en scène, ce qui faisait spectacle, il nous faut ici du sacré ; des enjeux ; de l’effroi devant la transgression ; et pas cette version soft et combien consensuelle d’une demoiselle de pensionnat laissant le feu de l’autel s’éteindre parce qu’elle se l’est mis à elle-même quelque part en pensant trop la nuit à son beau militaire. Le personnage de Julia, son drame, sont pour nous, le public, la seule raison qui donne ce qu’il a de vie à l’opéra auquel nous assistons. Si on avait donné à l’excellente chanteuse qu’est Ermolena Jaho un vêtement qui l’oblige à la tenue (morale, vocale aussi) qui fait tout son drame ; si on nous la montrait un peu sacrifiée à son sacerdoce, qui seul explique, justifie et rend nécessaire la ligne sublime de son chant, nul doute qu’elle aurait trouvé en elle l’énergie, le ressort de hausser son personnage au-dessus du niveau mollasse et puéril auquel on la condamne. Combien de fois le sens de son personnage, sa conviction ont suffi à porter une Mireille Delunsch (qui, certes, n’a pas la voix plus héroïque) bien plus haut que le sol habituel de l’opéra ! Avec son beau legato et son timbre flatteur, Mlle Jaho ne demandait qu’à frémir d’un effroi plus sacré dans un rôle dont les notes ne lui font pas peur. Elle reste là à un niveau opéra-comique, une Mireille, une Lakmé (sans les roulades).  Béatrice Uria Monzon, naturellement si noble, est amenée par la même banalisation à se monolithifier en marâtre revêche. Licinius, guerrier vainqueur de toute façon assez falot, échoit à Andrew Richards, correct et terne comme l’habit qu’il porte. Il n’est pas plus un Corelli que le Grand Prêtre (Konstantin Gorny) n’est un Pinza. Le seul en scène qui soit vêtu et distribué à vraie hauteur de son rôle est l’excellent Jean-François Borras en Cinna. Dans un opéra qui demande que les personnages visent et voient haut, tout le monde se contente d’assurer. Honorablement d’ailleurs.

Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius), Ermolena Jaho (Julia). © Vincent Pontet (TCE)

Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius), Ermolena Jaho (Julia) – © Vincent Pontet (TCE)

Reste l’orchestre, héros de la soirée. Il n’a pas, le veinard, de metteur en scène pour le faire jouer à la hauteur de ses idées à lui, il joue Spontini, et il le joue timbré, poétique quand il faut, et noble de bout en bout. Peut-être le soir de la première des intonations de cuivres et de vents ont pu défaillir. À cette troisième la sonorité était établie, le ton aussi, et la vraie Vestale communiquée. On espère à Jérémie Rhorer, régulièrement exposé au TCE dans des œuvres lourdes et neuves à porter pour son Cercle de l’Harmonie, des metteurs en scène qui sentent et fassent la même musique que lui !

Béatrice Uria-Monzon (la Grande Vestale), Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius), Ermonela Jaho (Julia), Konstatin Gorny (le Grand Prêtre) - © Vincent Pontet (TCE)

Béatrice Uria-Monzon (la Grande Vestale), Jean-François Borras (Cinna), Andrew Richards (Licinius), Ermonela Jaho (Julia), Konstantin Gorny (le Grand Prêtre) – © Vincent Pontet (TCE)

 

Théâtre des Champs-Elysées, le 20 octobre 2013

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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