“La Walkyrie” à l’Opéra-Bastille

Triomphe pour La Walkyrie, et triomphe populaire : la première est dimanche en matinée, c’est le public qui réagit, c’est lui qui s’exprime. La progression dramatique aménagée par Wagner sur trois actes culmine avec la scène finale du III, les Adieux de Wotan, l’Enchantement du Feu. Là, les aléas de la mise en scène sont emportés par la musique, il y a longtemps que le spectateur s’est rendu, qu’il a consenti, il est simplement soulevé. Le flot de musique maîtrisé par Philippe Jordan jusqu’en son ultime climax, mais aussi la stature du dieu telle que l’assumait le Wotan d’Egils Silins, mille fois plus affirmé que dans Rheingold, font qu’il n’y a plus qu’à se rendre. Apothéose méritée, à laquelle s’associe la Brünnhilde claire, parfaitement soprano d’Alwyn Mellor, gagnante dès ses premiers Hojotoho mais un peu débordée en couleur ensuite dans l’Annonce de la Mort, mais qui joue sur la ligne et le souffle, comme une petite Flagstad, pour assumer sa noblesse dans les longues phrases tenues de sa justification, War es so schmählich , au III.

© Opéra National de Paris / Elisabeth Haberer

© Opéra National de Paris / Elisabeth Haberer

 

Apothéose légitime. Elle ne nous fera pas oublier que la représentation aurait pu s’arrêter à la fin du premier acte tant celui-ci, dans la perfection de son émotion humaine et de sa très surnaturelle musique, comblait. Là c’est un autre Jordan qu’on entendait : guère de climax, mais une trame parfois murmurante, et des échanges instrumentaux d’une éloquence bouleversante, qui vont de pair avec les prestations vocales et scéniques également transportantes des nouveaux Siegmund et Sieglinde, Stuart Skelton et Martina Serafin. On n’est pas plus naturel, plus libre de ses mouvements, plus lyrique en même temps, et souverainement bien chantant. Il faut dire aussi que pour eux Günter Krämer a fait le ménage dans sa mise en scène, vidée de l’accessoire et de l’encombrant (le frêne, les allées et venues), éliminant très vite jusqu’à son propre arrière plan. Restent trois silhouettes extrêmement engagées qui nous jouent un jeu de passion et de mort d’une simplicité et cruauté d’épure : le Hunding de Günther Groissböck s’y joint avec la sveltesse et la noirceur menaçante qui lui sont propres. Indéniablement le II se réencombre, pommes et walkyries inutilement présentes ne nous apportent pas grand chose, au contraire nous privent du serré de l’Annonce de la Mort, de son côté sombre, fatal. Mais disons-le simplement. Ce I carrément mémorable, une telle progression et apothéose en fin de III, cela ne se rencontre pas tous les jours dans une vie de spectateur wagnérien. Et de toute façon une Sieglinde qui dit ainsi ses mots (à nous donner la chair de poule), nous donne ces notes émotionnelles vibrantes, et tient ainsi les trois actes, il faut l’avoir vue !

© Opéra National de Paris / Charles Duprat

© Opéra National de Paris / Charles Duprat

 

Opéra-Bastille, 17 février 2013

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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