Renée Fleming à la Salle Pleyel

Renée Fleming

L’œil de l’oreille a dû s’abstenir de concert en novembre, de peur de mêler des quintes de son cru aux roulades de Mme Bartoli en Mission comme aux beaux soupirs de Mme Netrebko dans Iolanthe.

Renée Fleming comme retour, quelle récompense ! Ajoutons que, rare hommage, subjuguée par la beauté du chant, une salle pourtant enrhumée s’est presque tue. Lieder seulement, le Jugendstil viennois alentour 1900 : programme sans concessions qui nous rappelle (les occasions qu’elle nous en donne sont, hélas, trop rares) que Fleming est une parfaite instrumentiste et styliste de la voix selon la discipline allemande, avec pour maître ès-lied Hartmut Höll, qu’Eschenbach plus d’une fois s’est mis au piano pour elle, et qu’en lied et mélodie elle est aujourd’hui, si elle veut, suprême.

Pleyel est évidemment cadre trop grand pour des poèmes sans effets, et une voix de texture subtile, de projection discrète.  Dans les Goethe de Wolf, très verbaux, une voix qui est surtout voyelles va fatalement laisser perdre les mots de textes qui sont surtout consonnes. Mais que se déploie la phrase dans Anakreons Grab, et le charme doré rayonne ; quant au divin diptyque Die Spröde / Die Bekehrte, si vocal avec ses soupirs vocalisés et sa mélancolie crépusculaire, on ne se souvient pas de l’avoir entendu en salle donné avec tant de grâce sensuelle et de liquidité dorée. Est-il besoin de dire que dans les Rückert de Mahler ensuite, d’emblée on sent l’orchestre ? Le cothurne ? Et le chant se pose, s’installe, tout autrement projeté et ample. D’emblée Ich atmet’ einen Linden Duft montrait autre consistance, autre galbe. Aucun miracle ne pourrait hisser cette voix à l’épaisseur et profondeur et majesté de résonance de Um Mitternacht. Mais ses incroyables ressources de souffle et de consistance dans les absolument plus longues phrases de Ich bin der Welt prises sans respirer, s’achevant dans des prodiges d’illumination sur de simples mots (Lieben), ont fait à cette première partie une conclusion grandiose. Et comme l’y a aidé de son piano, là comme partout, le sensible et attentif Maciej Pikulski !

À la reprise, il faut bien dire que ni Schoenberg (sa Jane Grey !!) ni Zemlinsky n’offrent de texte à l’individualité bien marquée : visiblement la salle aurait préféré du Strauss plus familier. Mais Fleming a conçu et voulu son programme, l’achevant avec un très merveilleux groupe Korngold, un qui, lui en tout cas, ose son individualité dans le lied, sait ce que chant (et chant glorieux) veut dire, et écrit vocal ! D’où une fête de sensualité et subtilité vocale, conclu dans un  hommage à Vienne (J. Strauss/Korngold) quasi valsé. Notre grand Dutilleux était dans la salle, 90 ans et en petite santé, mais avec sur son front et dans ses yeux ce rayonnement amical et chaleureux toujours, qui est Musique.  Fleming l’a fait applaudir et lui a dédié en premier bis une de ses trop rares mélodies. Suivra une autre absolue merveille : La flûte enchantée de Schéhérazade, dans un français et une qualité de vision également exquis. Mais quelle idée, entre les deux, d’avoir intercalé, même si elle est en train de les apprendre et est heureuse d’en faire part, Les Filles de Cadix ? Dans un tel programme (et pour un tel public, qui certes ne les attend et demande pas), osons dire qu’elles font solécisme. Pour finir, le lied au Luth de Marietta dans Tote Stadt : merveille de chant déployé, frémissant, riche de texture comme de timbre. L’écriture, la complaisance sensuelle propres à Korngold (ses si bémol !) ont idéalement en vue les moyens magnifiques de Fleming, plus encore que ne fait Strauss. Cela valait la peine de patienter un mois !

Pleyel, le 2 décembre 2012

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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