Récital d’Anna Netrebko à la Salle Gaveau



Photo Herbert

Une des vraiment plus belles voix du monde, en glorieux état de marche ; une  créature de grande beauté d’ailleurs, quoique palpablement forcie (le visage surtout : la maternité) ; un programme musical raffiné, Rimsky et Tchaïkovski seulement, des mélodies, mais qui demandent de vraies voix, et qu’on chante ; une pianiste suprême à côté, Elena Baschkirova, d’une richesse de nuances et d’une variété d’attaques féeriques, svelte et élégantissime, et royalement simple, en bleu nuit. Voilà de quoi porter au triomphe le récital d’Anna Netrebko à Gaveau, pour une fois presque pas assez grand pour le public, et pour la projection vocale. Madame, pistache pour Rimsky (superbe drapé à la Grès, mais pas Grès, quand même) a reparu noisette (avec pierreries) pour Tchaïkovski, souriante (et l’on voit que le cœur y est, qu’elle se sent sûre de son pouvoir, et de sa voix, et qu’elle aime qu’on l’aime).

D’où vient, pour quelques-uns au moins, le sentiment fugace que quelque chose manque dans cette soirée très applaudie, gala et clou des vingt ans des Grandes Voix ? Au fond, c’est simple. On est en récital, ne sont en jeu qu’un piano, et les mots. Et voici la belle Netrebko un peu à nu, dessaisie du cothurne orchestral qui en concert lui offrirait nuances et couleurs à refléter, absorbant en réciproque les duretés qui ne manquent pas dans une voix si constamment sur le timbre. Quant aux mots… Elle les projette clair et bien, mais ce n’est pas son génie propre de nous faire entrer en eux. Elle les chante tout le temps, et bien, assez monochrome de timbre d’ailleurs, mais jamais ne nous capte et attire, ne nous fait entrer en eux. Et il y a beaucoup de mots dans les mélodies russes ! Plus que dans un air d’opéra qui, lui, prend son temps avec les mots et avec eux fait du purement vocal !!

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Querelle d’école, certes. Mais il suffit d’avoir entendu, encore assez près de nous, Söderström ou Varady dans Tchaïkovski, pour ne rien dire de Vichnevskaya : et l’on voit aussitôt quelle dimension d’imaginaire, quelle évocation, quelle émotion, quelle communication aussi, se trouvent perdues du fait de cette approche toujours la même (à quoi n’apportent rien, est-il besoin de le dire, des jeux de scène assez primairement gauches qui montrent seulement qu’une chanteuse n’a pas la confiance qu’il faut en son seul dire). Cent minutes de chant sain, coloré, fruité, dont les aigus font un peu peur à l’un peu prude boîte de résonance de Gaveau : mais pas une demi seconde de mezza voce, de sotto voce ; du timbré qui est sonore, mais pas de plasticité du souffle derrière : en sorte que ce qui est piano est détimbré, souvent on ne l’entend qu’avec les oreilles de la foi. La voix vient à nous, nous n’allons pas à la voix. Pas un instant de cet hypnotisme propre aux grands récitalistes.

En bis le plus illustre de tous les Dvorak, à l’évocation délicieusement arpégée, laisse davantage parler le sentiment. Mais Cäcilie de Strauss ne va être que vocal, et même vocalissime ; héroïque effort dans Morgen à la fin pour mincir le trait, et faire danser le rêve sur un fil de voix. Héroïque, oui. Avec Barenboïm au piano, ce récital a fait événement en festival (largement moins au disque). Barenboim était d’ailleurs dans la salle, assis et écoutant. Occurrence rare ! Il a pu vérifier et admirer que la très belle Elena (Mme Barenboïm à la ville) ait si bien dans les doigts, dans les silences et dans le son, ce qui pour elle est musique d’enfance : authentiquement  « ce que la vieille mère chantait ». Mais la nostalgie, ce soir, avait élu domicile dans les touches du piano. Pour Netrebko, nous irons l’entendre en concert à Pleyel cet automne, dans Iolanthe. De l’opéra. Avec orchestre. Et à genoux !!

Salle Gaveau, 3 mai 2012

A propos de l'auteur

André Tubeuf

André Tubeuf

Né à Smyrne en 1930, André Tubeuf collabore aux magazines Le Point et Classica-Répertoire. Il est l´auteur de romans et de nombreux ouvrages sur la musique.

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