Roberto Alagna et les Trissotins

Turandot aux Chorégies d'Orange en juillet 2012.
Alain Duault
Ecrit par Alain Duault

Aux Chorégies d’Orange en cette fin juillet, Roberto Alagna a, pour la première fois, chanté le rôle de Calaf dans Turandot, l’ultime opéra de Puccini. Lors de la première, il a eu un petit problème vocal, dont la cause, une mycose laryngée, a été signalée par le directeur des Chorégies, Raymond Duffaut, avant la reprise de la troisième partie. Avec beaucoup de courage et un sens de ce qu’il doit à son public, Roberto Alagna est allé jusqu’au bout de la représentation et a été remercié à ce titre par une juste ovation de la plus grande partie du public.

Pourtant, à peine le spectacle terminé, les Cassandres et ceux qui croient tout savoir se lançaient dans des diatribes de Trissotins contre le ténor, affirmant avec cette certitude péremptoire des imbéciles qu’il était « fini » ou que (variante) ce rôle était « au-dessus de ses possibilités« . Il est vrai que le rôle de Calaf est un rôle de ténor dramatique assez lourd. Mais le Paolo de Francesca da Rimini de Zandonai qu’il a chanté avec une fougue saluée par tous à l’Opéra Bastille en 2011 n’était pas une promenade de santé, c’était même un rôle beaucoup plus lourd ! Et Cyrano, du Cyrano de Bergerac d’Alfano (celui-là même qui a terminé Turandot après la mort prématurée de Puccini), n’est pas non plus un rôle leggierissimo ! Et que dire du doublé Turridu et Canio de Cavalleria rusticana et Pagliacci qu’il a osé sur cette même scène d’Orange en 2009 ! Et Rodrigue du Cid de Massenet à Marseille !…

En fait, l’évolution de la voix et des rôles de Roberto Alagna suit un cours parfaitement normal. Mais ce n’est pas un robot chantant, c’est un homme. Et cet homme a connu il y a quelques semaines un problème dentaire : on lui a prescrit la pose de quatre implants – en principe en deux fois mais, au vu de son emploi du temps, il a préféré les faire poser en une seule fois ! D’où douleurs, antibiotiques… et mycose laryngée, c’est-à-dire dépôt d’une fine couche sur les cordes vocales (par ailleurs en parfait état), ce qu’on appelle joliment chez les enfants du « muguet ». Le traitement au fungizone a été lancé… mais exigeait un certain temps pour agir. C’est le même problème qui a frappé Jonas Kaufmann il y a quelques mois. Cela justifiait-il les anathèmes de tous ceux qui croient tout savoir et ne comprennent rien ? Évidemment pas. Et toute cette rumeur disproportionnée s’est éteinte dès la seconde représentation de Turandot, diffusée en direct sur France 3 et présentée par votre serviteur, où Roberto Alagna s’est montré éclatant comme il sait l’être avec sa voix, son élan, sa puissance de conviction retrouvés. Le public, le vrai public, l’a acclamé comme il le méritait : c’était la meilleure réponse de l’artiste aux minables Trissotins.

Mais ils sont le symptôme d’un mal plus général, l’impossibilité pour certains de considérer que les artistes sont des êtres humains. Quand on entend du fond d’une salle de spectacle un énergumène crier « montez le son ! », comme si les chanteurs étaient des machines qu’on pouvait manipuler en appuyant sur un bouton, on comprend que les ravages de la technologie ont compromis non seulement le simple respect humain mais aussi l’écoute dans ce qu’elle peut avoir de subtil. Et quand, à la fin d’un concours de piano, un concurrent malchanceux s’interroge sur son élimination alors qu’il a « joué plus vite que les autres [sic] », on comprend que pour certains, la musique est devenue un cirque dans lequel l’humain n’a plus sa place.

Roberto Alagna fait partie de ces artistes courageux qui ne se dérobent pas et vont jusqu’au bout de leurs forces par respect pour le public. On pourrait donc attendre de ce public un même respect et une reconnaissance plutôt que ces moulinets un peu vains censés affirmer une soi-disant « connaissance » de la part de ceux qui ne fonctionnent qu’à la rumeur, qui adorent brûler ce qu’ils ont adoré, qui ne supportent pas le succès, qui sont des peine-à-aimer. Dommage pour eux !